Le 9 février, 2023 

Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels 

Remarques devant le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles sur le projet de loi S-212, lequel prévoit l’expiration du casier judiciaire

Honorable président, membres du Comité,

Je vous remercie de m’avoir invité à nouveau.

Je me trouve actuellement sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin Anishinaabe. À titre d’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, je reconnais la violence coloniale subie par les peuples autochtones et le fait qu’elle se perpétue avec la surreprésentation des peuples autochtones dans le système de justice pénale, en plus de l’incidence disproportionnée sur leurs casiers judiciaires. Les obstacles économiques et systémiques posés par les casiers judiciaires renforcent les conditions qui continuent de dépouiller les familles autochtones de leurs ressources en les réattribuant aux colons.

Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels

Puisque j’ai récemment comparu devant le Comité et expliqué le mandat de notre Bureau, je tiens à fournir plus de contexte pour mes commentaires d’aujourd’hui. Lorsque notre Bureau évalue les répercussions de la législation en matière de justice pénale, nous employons une optique d’ACS+ qui examine l’intersectionnalité, et nous adoptons également une « approche axée sur la victime ». Je comprends que le mot « victime » est lourd de sens et problématique pour de nombreuses personnes qui ont connu la violence; je l’emploie donc ici dans le contexte juridique du système de justice pénale. Lorsque je dis « axé sur la victime », cela signifie que le point de départ de notre analyse juridique est la personne dont les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de personne garantis par l’article 7 de la Charte ont été bafoués. Cela suppose également la remise en cause de nos présomptions sur les contextes et les relations qui nous viennent à l’esprit lorsque nous parlons de victimisation. Il est vraiment difficile d’offrir une juste représentation des points de vue des victimes d’actes criminels. Les victimes et les survivants ont des besoins qui diffèrent et recherchent différentes choses auprès du système de justice. Un thème commun porte sur les répercussions profondes de ces déclarations de culpabilité ainsi que le désir d’être respecté, entendu et de ne pas être ignoré.

Expiration du casier judiciaire

Les casiers judiciaires causent des préjudices directs et indirects à de nombreuses victimes d’actes criminels. C’est un instrument inefficace appliqué à un large éventail de personnes qui ont des démêlés avec le système de justice. Alors que les vérifications de casier judiciaire sont de plus en plus communes dans le processus de demande d’emploi, de bénévolat, d’éducation et de logement, les préjudices continuent de croître. Je tiens à souligner certaines des conséquences inattendues pour les victimes de crimes.

Le racisme systémique et les causes fondamentales de la violence

Les casiers judiciaires touchent de manière disproportionnée les personnes racisées au Canada, particulièrement les personnes autochtones ou noires. Ces groupes sont déjà surincarcérés, et les casiers judiciaires prolongent le continuum de la criminalisation au sein des communautés alors que les personnes tentent de se réintégrer. Le casier judiciaire entraîne des obstacles en matière d’emploi, de logement et d’éducation, accentuant par le fait même les circonstances qui contribuent à la victimisation. Ces processus d’exclusion qui se chevauchent sont mentionnés dans les rapports gouvernementaux, tels que l’Examen des causes de la violence chez les jeunes de l’Ontario. De plus, Mme Tanya Sharpe, PH. D. qui mène des recherches auprès de survivants noirs de victimes d’homicides à l’Université de Toronto, a cerné des facteurs de risque et des déterminants sociaux similaires au sein des communautés noires du Canada.

Violence conjugale

Si l’on étudie les cas de violence conjugale, l’application des politiques d’inculpation obligatoire par la police signifie que des survivants de violence conjugale peuvent être accusés par erreur. Dans le cadre de mes propres recherches auprès d’un échantillon de 153 survivants de violence conjugale partout au Canada, des hommes et des femmes ont mentionné avoir été mis en état d’arrestation après avoir appelé la police pour demander de l’aide. En 2015, Mme Denise Hines, PH. D. a publié une étude qui a attiré l’attention sur les agressions juridiques et administratives en tant que comportement coercitif et contrôlant dans les cas de violence conjugale. Cela se produit lorsqu’un partenaire intime se sert des systèmes administratifs et juridiques pour continuer ses actes de violence par l’entremise d’institutions publiques. Les hommes et les femmes qui ont participé à ma recherche ont mentionné des situations où de fausses accusations ont entraîné un casier judiciaire et nui à leurs droits de garde.

Familles

Lorsque les forces policières interviennent lors d’incidents au sein d’une famille, une déclaration de culpabilité et un casier judiciaire peuvent entraîner des conséquences néfastes pour les victimes qui dépendent possiblement du soutien financier de l’auteur de la violence. Ce sont tous les membres d’une famille qui peuvent vivre la stigmatisation liée au casier judiciaire.

Personnes vulnérables et victimes d’exploitation

Au Canada, les personnes en situation d’itinérance ou qui souffrent d’une maladie mentale connaissent des taux élevés de victimisation et de criminalisation. Un si grand nombre de personnes peuvent être touchées. Une étude de 2015 portant sur 130 survivants de la traite de personnes aux États-Unis a révélé que 90 % d’entre eux avaient été appréhendés ou accusés pour des incidents liés à leur exploitation.

Dossiers de non-condamnation

Les forces policières peuvent également enregistrer des renseignements sur une non-condamnation, comme les interventions en santé mentale ou encore l’abandon ou la suspension d’accusations. Dans le cadre d’une vérification des antécédents pour un travail auprès de personnes vulnérables, ces renseignements peuvent être visibles après un verdict de non-culpabilité.

Portée

Près de quatre millions de Canadiens ont un casier judiciaire. En 2020-2021, moins de 10 000 personnes ont présenté une demande de suspension de casier ou de pardon; 17 % de ces demandes ont été refusées à l’étape de la vérification initiale pour cause d’inadmissibilité ou parce qu’elles étaient incomplètes.

Recommandations

Notre Bureau appuie la prévention fondée sur des données probantes pour s’attaquer aux causes fondamentales de la victimisation; nous voulons nous assurer que les victimes et les survivants ne souffrent pas davantage ni ne sont assujettis à plus de stigmatisation en raison de leur casier judiciaire.

Nous recommandons :

  1. Une approche à plusieurs niveaux : Nous appuyons l’expiration automatique des déclarations de culpabilité par procédure sommaire après un délai de deux ans. Au lieu d’une expiration automatique, nous recommandons que les personnes reconnues coupables d’une infraction prévue à l’annexe 1 ou les récidivistes ayant commis des infractions violentes soient tenus de présenter une demande après un délai de cinq ans.
  2. Limiter les dossiers de non-condamnation : Les vérifications de casiers judiciaires ne devraient pas divulguer de renseignements personnels non liés aux déclarations de culpabilité. Cela permettra de mieux respecter la confidentialité en matière de santé mentale ainsi que la présomption d’innocence, et de réduire les préjudices causés par les agressions juridiques et administratives.
  3. Éduquer le public : Communiquer les changements et clarifier les fausses idées en s’appuyant sur les constatations découlant des consultations de Sécurité publique Canada sur le retrait automatisé de casiers judiciaires.
  4. Reconnaître le droit de la personne au logement : Préciser qu’un casier judiciaire ou un casier expiré ne peuvent pas être des motifs de refus d’accès au logement. Il est nécessaire d’éliminer les obstacles pour aider le Canada à contrer la crise du logement et de l’itinérance de même qu’à réduire la violence de rue.

Je tiens à vous remercier à nouveau du temps que vous m’avez consacré.