Le 14 juin, 2023
Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels
Remarques devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles Projet de loi S-12 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants
Honorable président, membres du Comité,
Je suis heureux de vous revoir. Je suis impatient de vous parler du projet de loi S-12.
Nous sommes présents aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin Anishinaabe. Voilà un point de départ important. Je crois que la violence coloniale, antérieure et actuelle, fait en sorte qu’il est essentiel d’écouter les peuples autochtones et de solliciter leur participation à la poursuite de la justice et de la réconciliation. En tant que colonisateur blanc, je sais qu’il ne m’appartient pas de définir ce que veut dire la réconciliation ni d’établir ce qu’elle nécessite, car ce n’est pas moi qui ai subi un préjudice. Je respecte le leadership, la force et la sagesse des collectivités autochtones et j’offre humblement toute ma gratitude à ceux qui me jugent digne de la réconciliation.
Le mois dernier, j’ai réfléchi à l’absurdité que serait l’idée d’essayer de parvenir à une réconciliation sans les peuples autochtones. Sans écoute, il n’y a pas de justice.
Et pourtant, le système de justice continue de faire cette erreur. Il tente encore de faire en sorte que justice soit faite, mais sans réellement écouter les peuples qui ont subi des préjudices. Il prend des décisions en leur nom sans les consulter, présume de ce qui serait le mieux pour eux et leur rappelle constamment que ce n’est pas leur procès, que le procureur de la Couronne n’est pas leur avocat et que les droits qu’ils pensaient avoir ne sont pas contraignants. Pour les survivants autochtones qui communiquent avec notre bureau, c’est ce à quoi ressemble le colonialisme. Le système de justice pénale s’approprie la souffrance des victimes et des survivants.
Depuis que le projet de loi S-12 a été déposé, notre équipe entend les témoignages des survivants de violence sexuelle de partout au Canada à propos de leurs interactions avec le système juridique – un terme que j’entends à répétition depuis des années parce que bon nombre de survivants refusent d’appeler cela un système de justice.
En tant qu’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels et en tant qu’être humain, je fais de mon mieux pour être optimiste et essayer d’inspirer les gens, car je crois réellement que nous pouvons choisir de changer notre approche et faire mieux. Mais pour l’instant, le poids de ces conversations avec les survivants me pèse. Nous devons faire mieux. S’il vous plaît.
Je suis satisfait du projet de loi S-12. S’il est adopté, deux mesures permettront de renforcer la mise en œuvre de la Déclaration canadienne des droits des victimes. Je me concentrerai aujourd’hui sur les interdictions de publication et sur la prestation de renseignements après la détermination de la peine.
Interdictions de publication
Bien qu’elles visent à protéger les victimes d’actes criminels, les interdictions de publication ont eu des conséquences inattendues.
De nombreuses victimes souhaitent que leur identité soit protégée. Par contre, d’autres subissent un préjudice lorsque des interdictions sont imposées sans leur consentement ou sans qu’elles le sachent. Vous avez entendu les témoignages de survivants et de défenseurs des droits des victimes, et nous appuyons les propositions qui ont été présentées dans le cadre de l’initiative « Ma voix, mon choix » ainsi qu’au Comité au nom de plusieurs organisations. Les survivants subissent un préjudice lorsque le système de justice pénale porte atteinte à leur identité. En outre, il existe des obstacles complexes pour faire lever une interdiction de publication. Nous avons entendu des victimes qui ont été humiliées ou qui se sont senties trahies lorsqu’elles ont appris que la volonté du délinquant l’emportait sur leur demande visant à faire lever une interdiction. Cela veut dire que le délinquant et son avocat peuvent s’opposer à ce que le survivant demande à utiliser son propre nom.
Le projet de loi S-12 permettrait de veiller à ce que les victimes soient consultées avant qu’une interdiction de publication soit ordonnée. Il s’agit d’une grande étape. Parallèlement, d’après les préoccupations que nous avons entendues de la part des survivants, nous croyons que ce processus devrait reposer sur le principe du consentement éclairé. Les avantages et inconvénients des interdictions de publication doivent être expliqués aux victimes avant que l’interdiction soit ordonnée, et on devrait leur fournir des ressources qui expliquent leurs options et leurs droits. Comme les victimes n’ont pas toutes le même droit à des conseils juridiques indépendants dans toutes les administrations, la moindre chose que nous pouvons faire est de leur donner des ressources.
Notre bureau a déjà recommandé qu’une procédure claire sur la levée des interdictions de publication soit ajoutée au Code criminel. Nous sommes donc heureux de voir cette mesure dans le projet de loi S-12. Celle-ci exigerait toujours que la victime assiste à l’audience devant un juge. Nous recommandons qu’un processus administratif ex parte simplifié soit élaboré pour les cas où il n’y a qu’une seule victime [ou d’autoriser l’instruction d’une demande par un juge de paix].
Renseignements relatifs à la peine et à son exécution
S’il est adopté, le projet de loi S-12 exigerait que le juge chargé de déterminer la peine demande au procureur si des mesures raisonnables ont été prises pour vérifier si la victime souhaite recevoir des renseignements sur la peine et son exécution. Le projet de loi prévoit aussi l’ajout d’une case dans le formulaire de déclaration de la victime utilisé lors de la détermination de la peine afin que la victime puisse demander ces renseignements.
Cela peut sembler insignifiant, mais il s’agit d’une avancée majeure dans le cadre de l’accès aux droits des victimes, que j’ai cerné comme étant l’une des principales priorités de mon mandat de trois ans.
À l’échelon fédéral, le Service correctionnel du Canada (SCC) et la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) permettent déjà aux victimes de s’inscrire pour obtenir de l’information, et au cours des dernières années, ils ont créé un portail sécurisé en ligne pour diffuser de l’information aux victimes. Ce système peut fournir des notifications automatiques, des renseignements sur les droits des victimes, sur les transfèrements des détenus, sur la justice réparatrice, sur les audiences de libération conditionnelle et sur les dates de libération. Les victimes ont de nombreuses occasions de soumettre des déclarations dans lesquelles elles peuvent faire part de leurs préoccupations en matière de sécurité ou d’autres points de vue qu’elles voudraient voir pris en compte. Des instructions claires sont aussi publiées sur la façon de participer aux audiences de libération conditionnelle.
Toutefois, si les victimes ne s’inscrivent pas, elles n’auront jamais de nouvelle du système et personne ne les informera des transfèrements, des audiences de libération conditionnelle ou de la libération de leur agresseur. Il s’agit d’une source de plainte importante à notre bureau. À l’heure actuelle, seulement 27 % des délinquants purgeant une peine de ressort fédéral ont des victimes inscrites.
Avant le projet de loi S-12, personne n’était tenu par la loi de parler d’inscription aux victimes. Les mécanismes prévus par le projet de loi comblent donc une grande lacune.
Je recommande ce qui suit :
Adopter le projet de loi avec quelques modifications :
1. Fournir des ressources pour favoriser un consentement éclairé : Les décisions relatives aux interdictions de publication ou à la prestation de renseignements après la détermination de la peine ont des conséquences sur les survivants. Les avantages et les inconvénients devraient être présentés clairement et être accompagnés de ressources imprimées ou numériques qui contiennent de l’information supplémentaire. Le traumatisme peut entraîner une difficulté à assimiler l’information; le fait d’avoir des ressources à étudier peut améliorer la prise de décisions. Nous aimerions que des dispositions sur ce type de ressources soient ajoutées au projet de loi.
2. Simplifier le processus de levée des interdictions de publication : Élaborer un processus administratif pour lever les interdictions de publication sans avoir à tenir une audience devant la cour. Dans les cas simples, une demande pourrait être présentée à la Couronne afin d’obtenir la signature d’un juge ou de convoquer une réunion avec un juge de paix. Le délinquant n’aurait pas son mot à dire concernant la publication de l’identité de la victime.
3. Préciser l’expression « renseignements relativement à la peine et à l’exécution de celle-ci » : Ce libellé est trop vague et trop axé sur le délinquant. Les victimes ont besoin d’un langage clair pour comprendre ce qui se rapporte à elles. J’aimerais que des exemples soient ajoutés à la formule 34.2 (Déclaration de la victime) afin de veiller à ce que les victimes comprennent que ce libellé inclut de l’information sur les services qui leur sont offerts, la façon de participer aux audiences de libération conditionnelle, les dates de libération et la façon de communiquer leurs préoccupations en matière de sécurité. Ces exemples devraient aussi être expliqués par le procureur dans le cadre de l’obligation d’informer le juge que le choix a été offert aux victimes.
Je tiens à vous remercier à nouveau du temps que vous m’avez consacré.