Le 17 Octobre, 2023 

Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels

Remarques devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne sur le Projet de loi S-12 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants

Madame la Présidente, membres du Comité,

Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole au sujet du projet de loi S-12.

Je reconnais que nous sommes sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinaabe. Je rends hommage au leadership, à la force et à la sagesse des peuples autochtones, et j'accepte la responsabilité personnelle de poursuivre la justice et la réconciliation.

Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels

Le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels (BOFVAC) est un organisme fédéral indépendant, autonome du ministère de la Justice du Canada. Nous fournissons de l'information au public sur les droits des victimes, examinons les plaintes des victimes à l'égard des organismes fédéraux et donnons des conseils sur les lois et les politiques en matière de justice pénale. Nos recommandations s’appuient sur des conversations avec des survivants et des intervenants de partout au pays et dans le monde, ainsi que par nos cercles consultatifs autochtones, universitaires et de fournisseurs de services. Le nombre de demandes de renseignements et de plaintes adressées à notre bureau ne cesse d'augmenter. Nous prévoyons une augmentation de 128 % du nombre de dossiers ouverts cette année par rapport à 2017-2018.

Nous avons également préparé une réponse complète à l'étude du comité sur l'amélioration du soutien aux victimes d'actes criminels, qui vous sera transmise sous peu.

Projet de loi S-12

Je tiens à remercier les courageux survivants qui ont défendu le projet de loi S-12. Je reconnais également les survivants qui continuent d'être réduits au silence par des ordonnances de non-publication, et j'ai entendu à quel point il a été douloureux d'être exclus de ce processus, de ne pas avoir le droit de s’exprimer au Parlement avec sa propre voix et en son propre nom. 

Un survivant a consenti à ce que je partage son silence pendant 30 secondes. Veuillez vous joindre à nous dans le silence.

En juin, j'ai comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour discuter du projet de loi S-12. Je suis heureux de voir comment les sénateurs ont tenu compte des commentaires des survivants et d'autres intervenants.

Je continue d'appuyer les recommandations de My Voice, My Choice et d'autres survivants qui ont communiqué avec nous, notamment :

  • Une meilleure formation pour les procureurs et les juges sur la façon dont les traumatismes affectent la mémoire, le traitement de l'information et l'importance de l'autonomie par rapport à l'identité pour le rétablissement
  • Recueillir des données judiciaires fiables sur les ordonnances de non-publication
  • Informer les survivants d'agression sexuelle de leurs droits, respecter leurs choix et offrir une assistance juridique indépendante, le cas échéant
  • Accorder le même poids aux dispositions du Code criminel en faveur des victimes d'actes criminels qu'aux mesures à prendre pour les accusés
  • Mieux protéger les dossiers de thérapie des survivantes d'agressions sexuelles qui ont besoin d'une sécurité inconditionnelle pour extérioriser et composer avec la violence imposée à leur corps

Certaines de ces recommandations sont prises en compte dans le projet de loi S-12, tandis que d'autres nécessiteront plus de travail. Lors de discussions récentes avec des survivantes d'agression sexuelle, nous avons entendu parler de nombreuses violations des droits, d'obstacles et de contradictions dans la façon dont le système de justice pénale traite la violence sexuelle. Notre Bureau en est aux premières étapes de la planification d'une enquête systémique sur ces problèmes afin de proposer au Parlement des solutions plus complètes qui tiennent compte des traumatismes.

Lors d'une récente discussion avec des procureurs de la Couronne, on nous a dit que l'obligation de consulter sur les ordonnances de non-publication prévue dans le projet de loi S-12 s’appliquerait avant qu'ils n'aient normalement leurs premiers contacts avec les plaignants. Cela fait craindre que la mise en œuvre du projet de loi S-12 n'entraîne des décisions hâtives sur les ordonnances de non-publication. Nous avons également entendu des préoccupations selon lesquelles certains survivants pourraient choisir de rejeter ou de lever une ordonnance de non-publication sans comprendre les conséquences potentielles à long terme.

Je comprends la nécessité d'adopter rapidement le projet de loi S-12, alors je limiterai mes recommandations en regard de ce projet de loi à quelques modifications clés qui pourraient y être facilement inscrites ou encore faire partie de sa mise en œuvre.

1. Consentement éclairé. Les décisions concernant les ordonnances de non-publication ont des conséquences importantes pour les survivants. Les avantages et les inconvénients doivent être clairement présentés avec des ressources d'appui qui fournissent de l'information dans un langage simple et facile à comprendre. Les traumatismes peuvent rendre difficile le traitement et le rappel de l'information, donc avoir quelque chose à examiner peut aider à la prise de décision.

Nous proposons l'ajout suivant aux paragraphes 486.4(3.2) et 486.5(8) de l'obligation d'informer, qui oblige la poursuite à informer le juge qu'elle a :

  (d) fourni une ressource sur les ordonnances de non-publication pour expliquer la loi, les considérations de sécurité et la façon de faire modifier ou révoquer une interdiction;

2. De l'information centrée sur la victime. L'ajout d'un processus visant à fournir aux victimes d'actes criminels de l'information après le prononcé de la peine est l'une des contributions essentielles du projet de loi S-12 et était ma priorité absolue lorsque j'ai accepté ce rôle. Le projet de loi S-12 ajoute le libellé suivant aux déclarations de la victime :

  J'aimerais recevoir de l'information sur la peine infligée au délinquant et sur son administration.

C'est utile, mais cela n'explique pas adéquatement qu'une personne qui ne consent pas ou qui ne s'inscrit pas auprès du Service correctionnel du Canada ou de la Commission des libérations conditionnelles du Canada peut ne pas recevoir d'information sur les services aux victimes, la justice réparatrice, les transfèrements en prison, la façon de participer aux audiences de libération conditionnelle, de faire part de ses pré occupations en matière de sécurité ou d'être informée lorsque la personne qui lui a causé du tort est libérée.

Nous proposons que le procureur de la Couronne soit tenu de fournir une ressource en vertu de l'article 726.3 afin d'établir si des mesures raisonnables ont été prises pour déterminer si la victime souhaite recevoir des renseignements. Il serait également possible d'ajouter un hyperlien à l'option ajoutée au Formulaire 34.2 Déclaration de la victime.

Merci.

 

 


Suivi de la comparution devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes au sujet du Projet de loi S-12


19 Octobre 2023

BRÈVES RECOMMANDATIONS À LA SUITE D'UNE DISCUSSION EN COMITÉ :

1. Ajouter une liste de critères qui ne devraient pas être pris en compte lors de l'application du registre des délinquants sexuels, comme l'ont recommandé les juristes qui ont comparu devant le comité.

2. Lorsque les ordonnances de non-publication touchent plusieurs personnes, la victime devrait pouvoir faire lever son ordonnance sans tenir d'audience, tout en respectant les interdictions qui demeurent en vigueur pour les autres parties.

3. Les victimes devraient avoir le droit d'être informées, et l'information devrait être facilement accessible.

4. Les victimes devraient avoir le droit de lever une ordonnance de non-publication au moyen d'un processus simple qui respecte leur droit à la vie privée.

5. La Charte canadienne des droits des victimes (CCDV) est quasi constitutionnelle et devrait être prise en considération dans les énoncés relatifs à la Charte sur les lois en matière de justice pénale afin que le Parlement, ses comités et le public soient mieux préparés au débat.

CONTEXTE :

La Charte canadienne des droits des victimes(CCDV) est une loi quasi constitutionnelle qui a préséance sur d’autres lois canadiennes, y compris le Code criminel. L'article 21 stipule ce qui suit : « Dans la mesure du possible, toute loi fédérale adoptée — et tout décret, règle ou règlement pris en vertu d'une telle loi — avant, à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi doit être interprétée et appliquée d'une manière compatible avec les droits garantis par la présente loi. » De plus, le paragraphe 22(1) ajoute qu'en cas d'incompatibilité entre une disposition de la présente loi et une disposition d'une loi, d'un décret, d'une règle ou d'un règlement visé à l'article 21, la disposition de la présente loi l'emporte dans la mesure de l'incompatibilité 1 2

Les consultations en cours sur le projet de loi S-12 démontrent qu'il y a un conflit entre le Code criminel et l’article 14 de la CCDV sur le droit à la participation : «Toute victime a le droit d'exprimer son point de vue sur les décisions que doivent prendre les autorités compétentes du système de justice pénale et qui ont une incidence sur les droits de la victime en vertu de la présente loi et de faire en sorte que ces points de vue soient pris en considération. » Les lois actuelles sur l'interdiction de publication ont réduit au silence les survivants qui n'ont pas été en mesure de présenter des observations ou de partager leurs expériences dans le cadre de l’étude par les parlementaires du projet de loi S-12. Le BOFVAC a entendu des plaintes de survivants qui craignent des conséquences juridiques s'ils tentent d'exercer leur droit à la participation en vertu de la CCDV.

De plus, le projet de loi S-12 doit également respecter les droits à la protection et à la vie privée garantis par la CCDV, et je crois que les droits quasi constitutionnels des victimes méritent une attention particulière dans tous les énoncés relatifs à la Charte sur les lois en matière de justice pénale. Il s'agirait d'un pas vers l'obligation de rendre des comptes à l'égard de l'article 21 de la CCDV, qui établit que les droits des victimes ont préséance en cas d'incompatibilité avec d'autres lois, y compris le Code crimineletla Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition . L'intégration de la CCDV dans les énoncés relatifs à la Charte sur la justice pénale permettrait au Parlement et à ses comités de mieux s'assurer que leurs obligations législatives envers les victimes d'actes criminels sont respectées.

De plus, les articles 9, 10, 11 et 12 de la CCDV garantissent les droits à la sécurité, à la protection contre l'intimidation et les représailles, à la protection de la vie privée et à la protection de l'identité. La jurisprudence émergente a établi que le droit de la victime à ce que sa sécurité soit prise en considération par les autorités compétentes du système de justice pénale se rapporte à la sécurité physique et psychologique. L'article 10 prévoit le droit à ce que les autorités compétentes du système de justice pénale prennent des mesures raisonnables et nécessaires pour protéger la victime contre l'intimidation et les représailles. Encore une fois, je crois que le régime actuel d'interdiction de publication viole ce droit, et le projet de loi S-12 doit veiller à ce que les survivantes d'agression sexuelle soient protégées contre l'intimidation et les représailles, non seulement de la part de l'accusé, mais aussi du système lui-même. C'est une violation suprême des droits garantis par la CCDV que d'être criminalisé ou menacé d'être criminalisé pour avoir enfreint les mesures visant à protéger les victimes d'actes criminels.

L'encadrement des droits à la vie privée et à la protection de l'identité prévus aux articles 11 et 12 doit également faire l'objet d'une attention particulière. L'article 11 stipule que « toute victime a droit à ce que sa vie privée soit prise en considération... [C'est nous qui soulignons] » Cela implique une interprétation personnalisée du droit des victimes à la vie privée, ce qui est également appuyé par l'article 14 qui précise que chaque victime a le droit d'exprimer son point de vue sur les décisions à prendre qui ont une incidence sur ses autres droits en vertu de la CCDV. Il s'ensuit que le droit d'une victime de demander que son identité soit protégée en vertu de l'article 12 devrait également être interprété en fonction du droit à la vie privée de la victime plutôt que de celui de l'État.

Enfin, l'administration actuelle des ordonnances de non-publication viole l'article 6 de la CCDV qui garantit le droit à l'information, sur demande, sur le rôle des victimes dans le système de justice pénale, les services et les programmes qui leur sont offerts, ainsi que le droit d'être informées de l'issue des procédures en vertu de l'article 7. Le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels continue d'entendre dire que les survivants n'ont pas été en mesure d'obtenir des renseignements crédibles sur les ordonnances de non-publication ou l'aide juridique, malgré de multiples demandes. Pour satisfaire aux exigences du droit à la protection et du droit à la participation, il faut que l'information soit facilement accessible et offerte de manière proactive lorsque les intérêts d'une victime sont en jeu.



1 L’article 20 protège la discrétion de la police, de la poursuite, des directives ministérielles et des comités d’examen.
2 Le paragraphe 22(1) exempte certaines lois de la primauté de la CCDV : la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne , la Loi sur les langues officielles, la Loi sur l’accès à l’information , la Loi sur la protection des renseignements personnels et la section 1.1 de la partie II de la Loi sur la défense nationale.