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Victimes et survivants de la conduite avec facultés affaiblies et processus de libération conditionnelle du Canada
Préparé par : MADD Canada
Mars 2021
« Il n’y a jamais de justice. Trop d’espoir et d’attentes sont placés sur ce mot. Cela ne change rien à ce qui s’est passé; personne ne gagne. » – Victime et survivant de la conduite avec facultés affaiblies
MADD Canada a pour mission de mettre fin à la conduite avec facultés affaiblies et de soutenir les victimes de ce crime violent. En tant que seul organisme de lutte contre la conduite avec facultés affaiblies au Canada qui offre un soutien aux victimes et aux survivants de la conduite avec facultés affaiblies, le personnel de MADD Canada et les bénévoles des services aux victimes offrent des services à des milliers de victimes et de survivants de la conduite avec facultés affaiblies chaque année. MADD Canada a commencé à offrir un soutien il y a 27 ans et des centaines de bénévoles ont été formés depuis.
Un nombre incalculable de victimes et de survivants de la conduite avec facultés affaiblies partout au pays ont bénéficié des services offerts par MADD Canada, lesquels peuvent comprendre un soutien émotionnel, un accompagnement en cour, un soutien pour la rédaction de la déclaration de la victime, des groupes de soutien et une conférence nationale annuelle pour les victimes de la conduite avec facultés affaiblies1.
En moyenne, chaque jour, jusqu’à quatre personnes sont tuées et des dizaines de milliers d’autres sont blessées dans des accidents impliquant de l’alcool et/ou des drogues. La conduite avec facultés affaiblies demeure l’une des principales causes de décès d’origine criminelle au Canada. Certains de ceux qui survivent à ces accidents souffrent de blessures qui peuvent avoir des répercussions sur leur qualité de vie, leur capacité à travailler et leur bien-être psychologique. Les coûts financiers de la conduite avec facultés affaiblies sont estimés à 20 milliards de dollars par année. MADD Canada estime que les coûts sociaux d’un décès lié à la conduite avec facultés affaiblies dépassent 13 millions de dollars, et que les coûts moyens par blessure sont de 44 000 $, bien que le coût des blessures puisse varier considérablement.
Malgré le nombre de personnes touchées par la conduite avec facultés affaiblies, les coûts associés et la gravité du crime, les répercussions du décès et/ou de la blessure ne sont pas reconnues de la même façon que les crimes violents graves et les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies ne reçoivent pas la même attention. L’opinion sur les répercussions de la conduite avec facultés affaiblies sur les victimes et les survivants est compatible avec l’approche adoptée par le processus criminel – il s’agit d’une approche axée sur la justice, et non sur le préjudice.
Les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies sont exclus de certains programmes gouvernementaux. Ils sont peut-être moins susceptibles que les autres victimes de crimes violents de se voir offrir des services. Peu de ressources sont consacrées à la compréhension des répercussions de la conduite avec facultés affaiblies. Les experts en victimologie, par exemple, se concentrent sur les homicides, la violence fondée sur le sexe et le terrorisme. Les manuels de victimologie mentionnent rarement, voire jamais, la conduite avec facultés affaiblies, et choisissent plutôt de se concentrer sur des crimes, comme les homicides, où le délinquant a l’intention de tuer ou de blesser.
Les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies se disent souvent préoccupés par le fait que le système de justice ne prend pas au sérieux la conduite avec facultés affaiblies. Ils ont l’impression que les peines pour conduite avec facultés affaiblies causant la mort ou de graves blessures sont trop « légères » et ne reflètent pas la gravité du crime. Par exemple, la durée de la peine pour conduite avec facultés affaiblies causant la mort est de quatre à six ans, selon s’il existe des facteurs aggravants ou atténuants. La peine pour meurtre au premier degré est une peine d’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans; pour les meurtres au deuxième degré, c’est une peine à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 à 25 ans. En ce qui concerne le caractère approprié des peines pour conduite avec facultés affaiblies, ce qui est important, c’est la façon dont les victimes et les survivants perçoivent et traitent ces peines.
Au-delà de la perception de la peine, la durée de la peine détermine quand le délinquant sera admissible à diverses formes de mise en liberté sous condition2. Plus la peine est courte, plus tôt quelqu’un peut demander la libération conditionnelle. Les répercussions de la libération conditionnelle et la participation des victimes au processus de libération conditionnelle sont probablement l’aspect le moins compris de la participation des victimes au système de justice pénale. Malgré l’augmentation rapide des « droits » en ce qui a trait au processus de libération conditionnelle, les universitaires ont ignoré la mise en liberté sous condition en ce qui a trait à l’expérience des victimes et des survivants.
Ce projet était axé sur la façon dont les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies interagissent avec le processus de mise en liberté sous condition et vivent ce processus si peu de temps après la condamnation du délinquant. Le document comprendra le point de vue de membres de familles qui ont perdu quelqu’un et de personnes qui ont été blessées dans des accidents3. Le document mettra brièvement l’accent sur les répercussions de la conduite avec facultés affaiblies sur les victimes et les survivants, ainsi que sur la façon dont une approche de justice, comparativement à une approche axée sur le préjudice, peut toucher les victimes et les survivants. Le document examinera ensuite les conclusions de notre sensibilisation.
RÉPERCUSSIONS DE LA CONDUITE AVEC FACULTÉS AFFAIBLIES
La recherche sur les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies est limitée et n’a jamais été priorisée, même si elle est l’une des principales causes de décès et de blessures d’origine criminelle au Canada. Malgré la gravité du crime, beaucoup le considèrent encore comme un « accident ».
[Traduction]
Jusqu’à présent, il y a très peu de recherches portant sur les répercussions sur les personnes qui ont vu mourir un membre de leur famille en raison d’une conduite avec facultés affaiblies. À ce titre, on a sollicité des documents sur les répercussions sur les personnes qui ont subi un décès subit traumatisant, comme un homicide, pour reconnaître l’ensemble de la documentation appuyant la notion que l’expérience d’un décès soudain traumatisant par les survivants, que ce soit suite à un homicide ou qu’elle ait très peu de différence en termes de réponse au deuil4.
Les recherches existantes suggèrent que le deuil résultant d’un décès causé par un crime comme la conduite avec facultés affaiblies est comparable au deuil résultant d’un homicide. Une étude a révélé que [traduction] « les membres de la famille des survivants à un homicide criminel et des victimes d’homicide lié à l’alcool partagent plus de ressemblances que de différences en ce qui a trait à leurs expériences avec le système de justice pénale, leur satisfaction à l’égard de leur traitement par le système de justice pénale et les répercussions de l’homicide sur leur vie5 ».
Selon un rapport de la Community Knowledge Safety Alliance, [traduction] « une analyse de la documentation sur les traumatismes liés à un décès causé d’un accident de la route menée par Lord (2010) a révélé que les répercussions ou les préjudices subis par les familles à la suite d’un traumatisme résultant d’un accident de la route sont “très similaires” à ceux d’un homicide (p. 3). Ces préjudices relevés ont mis en évidence les répercussions émotionnelles, mentales, sociales et financières importantes sur les membres de la famille, ainsi que les défis rencontrés dans le cadre des interactions avec le système de justice pénale. L’analyse cite également des documents qui mettent l’accent sur la nécessité d’un soutien clinique particulier pour répondre aux vastes besoins des personnes et des familles touchées par un traumatisme résultant d’un accident de la route, y compris la réponse initiale à la crise, ainsi qu’après le traitement après l’accident, à court et à long terme6 ».
Sprang affirme qu’on [traduction] « […] croit que la nature et le cours du deuil après un décès causé par la conduite avec facultés affaiblies sont compliqués par le fait que la façon dont est décédée la personne est traumatisante ». Elle poursuit en affirmant que [traduction] « [l]a nature inutile et violente du décès des victimes de la conduite avec facultés affaiblies intensifie la réponse psychologique aux traumatismes vécus par les membres survivants de la famille8 ».
Les familles des personnes tuées dans des accidents impliquant la conduite avec facultés affaiblies sont plus à risque de faire une dépression, de développer des troubles de stress post‑traumatique (TSPT) et d’avoir des problèmes de santé. La détresse peut durer jusqu’à quatre à sept ans après le décès d’un être cher9.
Les blessures physiques causées par de la conduite avec facultés affaiblies peuvent être légères ou aller jusqu’à transformer la vie. MADD Canada travaille avec les victimes et les survivants qui ont perdu des membres, subi de graves blessures au cerveau, perdu leur mobilité, perdu la capacité de communiquer et vécu moins longtemps. Les blessures peuvent avoir des répercussions sur l’emploi et les relations, ainsi que des répercussions financières importantes.
Les victimes blessées, même si leurs blessures sont mineures, peuvent être plus à risque de développer des TSPT, une dépression, etc. Il est très peu probable que ces personnes se voient offrir des services aux victimes dans de nombreuses administrations.
Un facteur qui est constamment identifié dans la recherche sur les répercussions des crimes violents est que le décès ou la blessure a été causé par les actions de quelqu’un d’autre. Pour les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies, l’un des aspects les plus douloureux des décès et des blessures liés à la conduite avec facultés affaiblies est que le crime est évitable.
Le processus de justice pénale peut aggraver le traumatisme causé par le décès ou la blessure. Des recherches ont montré que le système de justice pénale peut avoir une incidence négative sur les victimes et les survivants, et être la source d’une seconde victimisation. Dans bien des cas, ils sont impliqués dans le système de justice pénale pendant des années, ce qui peut être un processus difficile et douloureux. Les infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies sont parmi les plus plaidées dans le système de justice pénale. Même si un accusé plaide coupable, le règlement peut prendre un an. Si l’affaire fait l’objet d’un procès, il n’est pas rare que cela prenne deux à trois ans. Les familles peuvent alors avoir à faire face à un processus juridique au civil distinct selon la situation. [traduction] « De nombreux chercheurs conviennent que le processus de deuil peut être retardé, perturbé ou déformé par les exigences de la procédure de justice pénale, et qu’une fois celle-ci terminée, les sentiments laissés en suspens peuvent commencer à prendre le dessus10. »
L’APPROCHE FONDÉE SUR LA JUSTICE EN MATIÈRE DE CONDUITE AVEC FACULTÉS AFFAIBLIES
Dans le système de justice pénale, la conduite avec facultés affaiblies causant la mort et le meurtre sont traités très différemment, tout comme la tentative de meurtre et la conduite avec facultés affaiblies causant des blessures sont considérées comme des crimes différents. Même si cela peut être logique du point de vue de la justice, des recherches indiquent clairement que les répercussions de la conduite avec facultés affaiblies causant la mort sont similaires à celles d’un homicide, et même des accidents « mineurs » peuvent causer des TSPT.
[Traduction]
Deux distinctions conceptuelles doivent être faites au moment d’examiner la réaction bio‑psychosociale d’un membre de la famille au décès d’un être cher causé par un conducteur ivre : la question de l’accident par rapport à un crime et la question d’un crime par rapport à un problème social […]. Les messages sociétaux qui minimisent le décès en l’appelant un accident peuvent minimiser l’importance de l’événement dans l’esprit du survivant11.
Cette approche fondée sur la justice est observée non seulement dans le système de justice, mais aussi dans les services et les mesures de soutien offerts aux victimes et aux survivants de la conduite avec facultés affaiblies. Les services aux victimes ont tendance à mettre l’accent sur les crimes violents, en particulier la violence familiale, l’agression sexuelle et l’homicide. Par conséquent, plusieurs victimes et survivants de la conduite avec facultés affaiblies n’ont pas accès aux services financés par le gouvernement. Certains gouvernements provinciaux considèrent les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies comme des victimes de « circonstances tragiques », et non comme des victimes de violence aux fins de financement et de services. Moins de 1 % des victimes et des survivants d’actes criminels à qui on a offert un soutien en Ontario ont été touchés par la conduite avec facultés affaiblies, ce qui n’est pas juste le cas en l’Ontario.
Le message que les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies reçoivent continuellement est que leurs pertes ou blessures ne sont pas aussi graves que dans le cas d’homicides ou d’agressions intentionnelles parce qu’elles ressemblent davantage à des accidents de la route. Certaines recherches ont révélé que l’emploi du mot « accident » pour décrire un accident causé par un conducteur dont les facultés étaient affaiblies peut [traduction] « nuire au rétablissement des victimes d’un accident en les empêchant d’attribuer le blâme et de gérer les émotions liées au traumatisme12 ».
[Traduction] « Le message que reçoivent les membres survivants de la famille est que la conduite avec facultés affaiblies est un crime moins important que les autres crimes13. » Par conséquent, leur souffrance est également moins importante.
Cette approche fondée sur la justice met l’accent sur les motivations du délinquant, et non sur les répercussions du crime. En d’autres termes, parce que la conduite avec facultés affaiblies n’implique pas une intention de tuer ou de blesser qui que ce soit, les répercussions de ses actes ne peuvent pas être aussi graves. Il s’agit d’une approche fondée sur ce que les gouvernements sont disposés à offrir, et non sur ce dont les victimes et les survivants d’un crime grave ont besoin. [Traduction] « Le décès d’un être cher par un traumatisme résultant d’un accident de la route est souvent écarté parce que personne n’a voulu que cela se produise. Toutefois, les conséquences pour les membres de la famille sont très similaires à celles d’un meurtre. »
MADD Canada soutient que les répercussions de la conduite avec facultés affaiblies sur la victime ou le survivant et leur famille ne sont pas déterminées par l’intention du délinquant. Elle comprend plusieurs des mêmes facteurs que d’autres crimes violents : l’accident est soudain et imprévisible; les résultats peuvent être graves – décès ou blessure grave; l’accident peut toucher leur vision du monde et leur sentiment de sécurité.
LE PROJET
Le projet visait à améliorer notre compréhension de l’expérience vécue par les victimes et les survivants qui sont confrontés à un processus de mise en liberté sous condition peu après un processus de condamnation. Il ne s’agit pas de recueillir leurs points de vue sur la condamnation ou le processus de mise en liberté sous condition.
Près de 100 personnes de partout au Canada15 ont participé à un sondage que MADD Canada a distribué. MADD Canada a tenu deux tables rondes en ligne avec des victimes et des survivants de la conduite avec facultés affaiblies, avec environ 20 participants (également de partout au Canada). Nous avons également effectué plusieurs entrevues individuelles avec des victimes et des survivants. Tout cela nous a permis de mieux comprendre comment les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies interagissent avec le processus de libération conditionnelle et quelles sont les répercussions de ce processus. Dans le cadre de nos recherches, nous avons également appris pourquoi les personnes choisissent de participer ou non au processus de mise en liberté sous condition.
La plupart des participants à notre sondage étaient des personnes qui ont perdu un être cher à cause d’un conducteur dont les facultés étaient affaiblies. Dans la plupart des affaires, les délinquants ont été condamnés à une peine de moins de cinq ans16. La plupart des affaires ont duré d’un à deux ans entre l’accident et la peine.

Dans la plupart des affaires, le délinquant était admissible à une mise en liberté sous condition moins de deux ans après la condamnation17.

La plupart des délinquants ont passé moins de deux ans en prison avant d’être mis en liberté.
Ce projet ne visait pas à examiner comment les sentiments des victimes et des survivants à l’égard des peines ou des décisions concernant la libération conditionnelle, mais la durée entre l’accident et la condamnation, ainsi qu’entre la condamnation et la mise en liberté est pertinente quant aux répercussions du processus de libération conditionnelle sur les victimes et les survivants. Pratiquement tous ceux à qui nous avons parlé dans le cadre de nos tables rondes et des entrevues, ainsi que ceux qui ont formulé des commentaires dans le sondage ont estimé que la mise en liberté sous condition est arrivée trop tôt et que cela a eu des répercussions négatives sur leur processus de rétablissement ou de deuil.
Les répercussions de la participation au processus de mise en liberté
Bien que le projet fût axé sur la mise en liberté sous condition, nous avons parlé à une famille où la délinquante, qui avait tué plusieurs personnes dans un accident de conduite avec facultés affaiblies, a été transférée dans un pavillon de ressourcement (établissement à sécurité minimale) très peu de temps après avoir été condamnée et a commencé à recevoir des permissions de sortir avec escorte (PSAE) peu après. La famille avait l’impression qu’un délai insuffisant s’était écoulé entre la condamnation et son accès à la collectivité18.
Une mère a dit que, même s’il avait fallu plus de temps avant que le délinquant puisse demander la libération conditionnelle, cela n’aurait pas rendu la perte moins douloureuse, mais cela lui aurait donné plus de temps pour se calmer, et travailler sur elle-même et gérer la perte sans que le délinquant s’immisce dans sa vie.
Une autre mère a dit que tout le processus était des montagnes russes émotionnelles et elle pensait qu’une fois le délinquant condamné, elle aurait un peu de temps pour se remettre de tout. Toutefois, il lui semblait qu’aucun temps ne s’est écoulé et que le délinquant demandait sa mise en liberté.
Un homme a dit que les « croûtes » n’avaient même pas commencé à guérir, qu’elles ont de nouveau été arrachées en raison du processus de mise en liberté. Il a dit que les victimes ont besoin de plus de temps pour guérir avant que le système de justice ne s’immisce de nouveau dans leur vie.
Tout le monde semblait convenir que les victimes et les survivants avaient besoin de temps pour respirer ou reprendre leur souffle. Les personnes ont tendance à ne pas commencer à faire leur deuil avant la fin du procès; elles ont l’impression qu’elles commençaient juste leur deuil quand le délinquant demandait sa mise en liberté. Une personne a estimé que les victimes devraient avoir au moins un an avant que le délinquant puisse présenter une demande pour quoi que ce soit.
Les répercussions de l’attente de la prochaine date ou audience
Certaines personnes ont également parlé des répercussions de la rédaction d’une autre déclaration, cette fois pour la libération conditionnelle, donc peu après la rédaction d’une déclaration pour la condamnation. Elles avaient l’impression que les fonctionnaires ne comprenaient pas à quel point il est difficile de rédiger une déclaration, et encore moins qu’on leur demande de revivre leur douleur chaque fois que les délinquants présentent une demande de mise en liberté.
Les victimes et les survivants ont parlé de la dévastation de recevoir un avis que le délinquant était admissible à la mise en liberté, puis d’attendre de voir si le délinquant présenterait une demande ou non. Si le délinquant ne présentait pas de demande, ils attendaient le prochain appel pour la prochaine mise en liberté potentielle. Si le délinquant présentait une demande, ils attendaient jusqu’à la date, puis à l’audience ou à la décision. Selon ce qui se passait, ils attendaient de nouveau pour voir si le délinquant présenterait une nouvelle demande ou interjetait appel d’une décision défavorable. Ils ont décrit la tension constante d’attendre de voir ce qui allait se passer ensuite et les répercussions de se sentir comme ça depuis l’accident. Ils avaient l’impression de ne pas avoir de répit ou de soulagement.
Le désir d’être libéré du délinquant
Une personne a décrit un sentiment de soulagement lorsque le délinquant a été libéré. Elle savait qu’à moins que le délinquant ne viole ses conditions ou ne récidive, la partie de l’emprisonnement était terminée. Elle a expliqué avoir eu un sentiment de liberté à l’idée qu’il n’y aurait plus d’audiences et de déclarations, et qu’elle se concentrerait enfin sur la façon dont son être cher vivait et maintenant comment elle est morte. Cela ne voulait pas dire qu’elle se sentait bien à l’égard du processus – seulement un soulagement.
Certaines personnes ont parlé d’attendre avec impatience le jour où elles n’avaient pas à penser autant au délinquant, bien que d’autres aient dit qu’elles ne pensaient pas pouvoir cesser de penser à la personne qui avait causé tant de douleur dans leur vie19. La douleur liée à la perte ou aux difficultés quotidiennes découlant de blessures sont des rappels constants pour ces personnes.
Cela valait-il la peine de participer au processus?
D’autres ont indiqué avoir le sentiment de vouloir que le délinquant quitte leur vie, mais ils ont aussi choisi de participer à un processus qui maintiendrait leur relation avec le délinquant, un processus où il continuerait à « revenir dans leur vie ». Pour beaucoup, la décision de participer à la libération conditionnelle était presque comme un fardeau qu’ils se sentaient obligés de porter. Ils ont expliqué qu’ils savaient que ce serait un processus douloureux et que ce fût le cas. Peu de participants ont parlé des avantages personnels de l’inscription – c’était surtout plus frustrant et plus douloureux. Beaucoup se sont sentis obligés de s’inscrire en mémoire de leur être cher (s’ils ont perdu quelqu’un); ils devaient parler pour eux et les représenter.
D’autres ont dit qu’ils ne voulaient pas que le délinquant oublie ce qu’il a fait ou la douleur et le traumatisme qu’il a causés. La plupart voulaient que le délinquant soit emprisonné le plus longtemps possible et pensaient que leur participation pourrait y contribuer (la plupart estimaient que non). Certains voulaient rendre la vie du délinquant aussi difficile que possible.
La plupart des personnes étaient heureuses de s’être inscrites pour recevoir des renseignements sur le délinquant, même si elles reconnaissaient que c’était un processus douloureux, et certaines se demandaient si c’était « bon pour elles ». Certaines ont indiqué se sentir habilitées en recevant des renseignements sur le délinquant. Même si c’était difficile, elles se sentaient mieux informées que si elles n’avaient reçu aucun renseignement. Elles ont également dit que l’obtention de renseignements leur permettait de répondre aux questions d’autres membres de leur famille.

La décision de ne pas s’inscrire
Nous avons communiqué avec quelques personnes qui ont choisi de ne pas s’inscrire ou de ne pas participer au processus de mise en liberté. Comme d’autres, elles estimaient que la peine était trop légère, mais elles pensaient qu’il valait mieux qu’elles ne participent pas au processus de libération conditionnelle. Elles ne voyaient pas comment cela aiderait, voulaient se concentrer sur elles-mêmes, et pensaient que leur être cher aurait voulu cela pour elles. Un autre homme a dit, après le verdict de culpabilité, qu’il n’allait pas gaspiller son énergie pour le délinquant.
Bien qu’il s’agisse d’un groupe plus restreint, ceux qui ont choisi de ne pas s’inscrire n’ont pas regretté leur décision. Leurs raisons de ne pas s’inscrire étaient la nécessité de se concentrer sur eux-mêmes et non sur le délinquant. Un homme a dit qu’il ne se souciait pas du délinquant.

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Ce projet de recherche qualitative était limité par le nombre de personnes que MADD Canada a pu mobiliser, ce qui a été quelque peu touché par la pandémie. De plus, il ne tient compte que des points de vue des victimes et des survivants qui ont demandé des services à MADD Canada.
Notre intention était de comprendre comment les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies vivent le processus de mise en liberté sous condition, ce que nous croyons avoir été en mesure de faire. Toutefois, ce faisant, nous avons soulevé d’autres questions sur les raisons pour lesquelles les personnes participent au processus en sachant que cela sera douloureux, les sentiments contradictoires de souhaiter que le délinquant quitte leur vie, tout en participant à un processus qui amène continuellement le délinquant à revenir dans leur vie, entre autres.
Le calendrier des audiences est un problème important pour les victimes et les survivants, car ils ont l’impression qu’ils n’ont pas la chance de respirer après l’audience de détermination de la peine. Cela mène ensuite à la demande de préparation d’une, voire plusieurs autres déclarations de la victime, ce qui est un processus douloureux et difficile en soi. Dans certains cas, il semble y avoir des répercussions négatives sur les victimes et les survivants qui participent au processus de libération conditionnelle, mais il s’agit de répercussions qu’ils sont disposés à assumer et la plupart ne regrettent pas leur décision.
Bien que nous n’ayons pas discuté des options de participation aux audiences de libération conditionnelle, il est clair à quel point cela est important pour de nombreux survivants et victimes de la conduite avec facultés affaiblies. Par conséquent, nous croyons qu’il est important que les victimes et les survivants disposent d’options en ce qui a trait à la façon dont ils souhaitent participer. Les victimes et les survivants devraient avoir la possibilité d’assister à l’audience en personne (lorsqu’il est sécuritaire de le faire) et la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) devrait préserver la capacité des victimes et des survivants à assister à l’audience par téléconférence ou vidéoconférence une fois la pandémie maîtrisée.
Nos conclusions devraient éclairer la compréhension des fonctionnaires qui travaillent dans le système correctionnel et de libération conditionnelle, ainsi que de ceux qui offrent du soutien. Elles devraient mener à plus de recherches axées sur les victimes et les survivants et leur interaction avec le processus de libération conditionnelle afin que nous puissions continuer de comprendre la motivation des victimes et des survivants pour mieux répondre à leurs besoins.
Recommandations
Les recommandations sont difficiles à élaborer parce que les victimes et les survivants de la conduite avec facultés affaiblies soutiennent que les peines devraient être plus longues, retardant ainsi la mise en liberté sous condition des délinquants. Beaucoup ont l’impression que si plus de temps s’écoulait, la mise en liberté du délinquant pourrait ne pas être aussi douloureuse. Bien que les peines aient augmenté au cours de la dernière décennie, elles ne devraient pas considérablement augmenter.
Toutefois, il est utile de comprendre le point de vue des victimes et des survivants de la conduite avec facultés affaiblies pour que les fonctionnaires qui travaillent avec eux apprécient leur perception de l’intervention du système de justice pénale et de ses répercussions sur leur rétablissement.
- D’autres recherches devraient être menées sur l’expérience des victimes et des survivants lorsqu’ils s’inscrivent auprès du Service correctionnel du Canada (SCC) et de la CLCC, participent aux audiences, etc., afin de déterminer les avantages et les coûts de leur participation.
- D’autres recherches devraient être menées sur les victimes et les survivants qui présentent des déclarations de la victime afin de déterminer s’ils estiment qu’il s’agissait d’un processus utile. Cela devrait inclure la compréhension de leurs attentes en ce qui a trait aux répercussions qu’auraient eues leurs déclarations par rapport à ce qu’elles percevraient comme étant des répercussions réelles de celles-ci.
- La formation actuelle pour le personnel du SCC et de la CLCC devrait intégrer les leçons apprises concernant la complexité du choix des victimes et des survivants de la conduite avec facultés affaiblies de participer ou non au processus de libération conditionnelle, ainsi que concernant les répercussions du crime par rapport à la perception de la façon dont le système de justice le perçoit.
- La formation actuelle pour le personnel du SCC et de la CLCC devrait intégrer la compréhension de la différence entre une approche axée sur les préjudices et une approche fondée sur la justice en ce qui a trait aux infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies.
[1]MADD Canada a élaboré l’une des premières formations sur l’avis de décès pour les premiers intervenants, laquelle a été utilisée pour former des milliers de premiers intervenants et membres du personnel et bénévoles des services aux victimes partout au pays. Cette formation a été élaborée sous forme de programme en ligne offert aux premiers intervenants.
[2]Malgré la perception de la peine que les victimes et les survivants peuvent avoir, les peines ont lentement augmenté au cours de la dernière décennie. Par conséquent, de plus en plus de victimes et de survivants qui contactent MADD Canada pour obtenir du soutien et de l’aide demandent à assister aux audiences de libération conditionnelle fédérales et à rédiger des déclarations de la victime, et demandent des renseignements sur le délinquant.
[3]Il y a davantage de commentaires de personnes qui ont perdu quelqu’un à cause d’un conducteur dont les facultés affaiblies parce qu’elles constituent la majorité des personnes que MADD Canada soutient, mais aussi parce que la conduite avec facultés affaiblies causant la mort entraîne habituellement une peine d’emprisonnement fédérale, tandis que les peines dans des affaires de blessures varient considérablement selon la gravité de la blessure.
[4]Nicholas A. Jones, Jody Burnett et Robert Mills, Understanding the Effects of Disabilities Driving in Saskatchewan, Community Safety Knowledge Alliance, juin 2018, p. 8.
[5]Dean G. Kilpatrick, Angelynne Amick et Heidi S. Resnick, The Impact of Homicide on Surviving Family Members, National Institute of Justice, 1990. https://www.ojp.gov/pdffiles1/Digitization/130823NCJRS.pdf
[6] Nicholas A. Jones, Jody Burnett et Robert Mills, Understanding the Effects of Disabilities Driving in Saskatchewan, Community Safety Knowledge Alliance, juin 2018, p. 9.
[7]Ginny Sprang, « PTSD in Surviving Family Members of Drunk Driving Episodes: Victim and Crime-Related Factors », Families in Society: The Journal of Contemporary Human Services, 1997, p. 632.
[8] Ginny Sprang, « PTSD in Surviving Family Members of Drunk Driving Episodes: Victim and Crime-Related Factors », Families in Society: The Journal of Contemporary Human Services, 1997, p. 632.
[9]Janice Harris Lord, « Real MADD: How to Help Road Trauma Survivors », Grief Matters, mars 2010, p. 5.
[10] Debra Clothier, « The Impact of Crime as Victims Embark Upon Recovery », Rebalancing the scales, p. 21. https://paladinservice.co.uk/wp-content/uploads/2013/10/Priti-Patel-MP-2013-Rebalancing-the-Scales-prioritising-victims-in-the-Criminal-Justice-System.pdf
[11]Ginny Sprang, « PTSD in Surviving Family Members of Drunk Driving Episodes: Victim and Crime-Related Factors », Families in Society: The Journal of Contemporary Human Services, 1997, p. 633.
[12] Alan E. Stewart et Janice Harris Lors, « Motor vehicle crash versus accident : a change in terminology is necessary », J Trauma Stress, août 2002; 15(4):333-5.
[13]Ginny Sprang, « PTSD in Surviving Family Members of Drunk Driving Episodes: Victim and Crime-Related Factors », Families in Society: The Journal of Contemporary Human Services, 1997, p. 632.
[14] Janice Harris Lord, « Real MADD: How to Help Road Trauma Survivors », Grief Matters, mars 2010, p. 4.
[15] La majorité des répondants provenaient de l’Ontario, suivi de la région de l’Ouest, de la région de l’Atlantique et du Québec.
[16] Toutes les affaires n’ont pas mené à une condamnation, tous les délinquants n’ont pas encore été condamnés, entre autres.
[17] En moyenne, si un délinquant est condamné à une peine de cinq ans (60 mois), il pourrait demander une libération conditionnelle totale après 20 mois et une semi-liberté après 14 mois. Les délinquants peuvent demander des permissions de sortir avec escorte à tout moment.
[18]Bon nombre des personnes à qui nous avons parlé ont également discuté d’affaires où des délinquants étaient envoyés dans des établissements à sécurité minimale, mais le terme « pavillon de ressourcement » était particulièrement troublant pour beaucoup. Certains étaient confus par le terme et ne croyaient pas qu’il s’agissait d’un établissement correctionnel fédéral.
[19] Selon la province dans laquelle les personnes vivent et les options dont elles disposent en matière de poursuites civiles, bon nombre d’entre elles intenteront une poursuite civile longtemps après la condamnation et, dans certains cas, même après la mise en liberté du délinquant.