Qu’est-ce que le cautionnement?
Dans l’ensemble, le cautionnement est la procédure qui permet de déterminer si une personne accusée d’une infraction criminelle sera libérée ou détenue en attendant son procès.
Si une personne accusée d’un acte criminel est mise en état d’arrestation et détenue jusqu’à sa comparution devant un tribunal, une audience sur la libération sous caution doit être tenue dans les 24 heures (ou dès que possible).
Lors de l’audience sur la libération sous caution, un procureur (dans la plupart des cas) résume la nature de l’infraction, la preuve contre l’accusé et les facteurs qui aideront le tribunal à prendre une décision. Au cours de l’audience, le tribunal doit également tenir compte de tout élément de preuve indiquant qu’il serait nécessaire d’assurer la sécurité de la victime ou des témoins; cela peut comprendre la gravité de l’accusation ou la présence de violence pendant l’infraction.1 Le tribunal décide ensuite si la personne accusée sera mise en détention avant la tenue du procès.
Détention avant le procès, détention provisoire et mise en liberté
La détention avant le procès comprend aussi la détention provisoire. Il n’est pas rare pour les personnes accusées d’être mises en détention provisoire (dans une prison) en attendant la tenue de l’audience sur la libération sous caution.
Si le tribunal détermine qu’une personne accusée doit être détenue, il ordonne qu’elle reste en prison avant le procès. En vertu des lois fédérales actuelles, cette mesure peut être prise pour assurer la comparution de l’accusé devant le tribunal, pour protéger le public (y compris les victimes et les témoins) ou pour maintenir la confiance dans l’administration de la justice étant donné la gravité de l’infraction et d’autres facteurs semblables.
Lorsque le tribunal décide de ne pas détenir une personne accusée d’un crime, il ordonne sa mise en liberté dans l’attente du procès. Selon les renseignements et les éléments de preuve présentés à l’audience sur la libération sous caution, le tribunal peut assortir la mise en liberté de conditions que doit respecter l’accusé. Par exemple, le tribunal peut interdire à l’accusé de communiquer avec la ou les victimes et de fréquenter des lieux précis.
Quels droits les victimes ont-elles actuellement en ce qui a trait au cautionnement?
- Si un tribunal envisage la possibilité d’accorder une mise en liberté provisoire par voie judiciaire relativement à une infraction avec usage, menace ou tentative de violence contre une personne, il doit déterminer s’il y a lieu d’assortir l’ordonnance de mise en liberté de conditions visant à assurer la sécurité des victimes. Le tribunal doit aussi indiquer au dossier qu’il a pris en considération la sécurité de chaque victime dans sa décision.
- En vertu du Code criminel, la victime d’une infraction a le droit de recevoir – sur demande – une copie de l’ordonnance d’audience sur la libération sous caution (la décision de détenir ou de libérer l’accusé, ainsi que les conditions imposées).
Considérations
- La réforme du cautionnement fait partie des efforts de modernisation mentionnés expressément dans la lettre de mandat de la ministre de la Justice et procureur général du Canada.
- Dans son programme électoral de 2015, le Parti libéral du Canada s’est engagé à modifier le Code criminel pour renverser le fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté des récidivistes de violence conjugale2 Si cette modification est adoptée, cela signifiera qu’un accusé sera mis en détention à moins qu’il puisse démontrer que sa détention n’est pas justifiée.
- À l’heure actuelle, il n’existe aucune obligation légale d’informer automatiquement la victime lorsqu’un délinquant est libéré sous caution. Cela signifie qu’une victime qui se préoccupe avec raison de sa sécurité peut ne pas avoir été informée de la mise en liberté de la personne accusée et des éventuelles conditions imposées.
- Les entrevues révèlent que seulement les deux tiers des victimes avaient été informées de la mise en liberté sous caution de l’accusé; un peu plus de la moitié de ces victimes avaient été informées du moment de la libération (55 %) et des conditions de la mise en liberté (57 %).3
- La communication de ces renseignements aux victimes leur permet de faire des choix éclairés quant à la planification de leur sécurité et à la décision de se prévaloir de services de protection des victimes.
- Les victimes qui ne sont pas informées de la mise en liberté de la personne accusée subissent souvent une victimisation secondaire4 si elles l’apprennent après le fait, que ce soit par les médias ou sur Internet. Les personnes les plus touchées peuvent alors vivre un niveau de stress comparable à celui vécu au moment de l’acte criminel.5
- La sécurité des victimes et des témoins est un élément essentiel du processus décisionnel dans les procédures de mise en liberté sous caution. Il est donc important que les victimes puissent se faire entendre sur les répercussions qu’aurait la mise en liberté d’un accusé sur leur sécurité. La police, les procureurs et les tribunaux doivent tenir compte de cette information avant que la décision sur le cautionnement soit rendue.
- D’après les entrevues réalisées, environ 70 p. 100 des victimes disaient avoir fait connaître leurs préoccupations en matière de sécurité (dans la plupart des cas à la police), alors que 30 p. 100 des victimes affirmaient que personne ne leur avait parlé de questions de sécurité.6
- Les victimes se préoccupent avec raison de la possibilité qu’un accusé commette une autre infraction durant sa libération sous caution. Au Canada, il existe des cas documentés de personnes accusées ayant commis un crime violent durant leur libération sous caution.
- Par ailleurs, un facteur clé pris en considération dans bon nombre de discussions sur la réforme du cautionnement concerne les droits conférés à l’accusé par l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés, plus précisément le droit d’un accusé de « ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable ». La Charte garantit aussi les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Ces droits existent pour tous, y compris les victimes et les personnes accusées d’actes criminels. Pour équilibrer la manière dont ces droits légaux sont appliqués, le Code criminel exige généralement que les tribunaux libèrent les personnes accusées sans conditions en attendant la tenue de leur procès. Cependant, si le procureur le justifie lors de l’audience sur la libération sous caution, le tribunal peut ordonner une détention avant le procès ou une mise en liberté provisoire assortie des conditions nécessaires.
- Bon nombre d’études ont souligné les graves problèmes associés au nombre croissant de personnes accusées qui sont incarcérées en attendant une audience sur la libération sous caution et un procès9, y compris :
- l’atteinte potentielle aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés aux accusés – un nombre croissant de personnes présumées innocentes passent des journées et quelquefois des semaines en prison avant la tenue de leur audience sur la libération sous caution;
- l’augmentation des coûts, par exemple les coûts des installations et les coûts liés aux reports d’audience;
- les inefficacités, par exemple les pressions exercées sur les établissements correctionnels ainsi que les reports d’audience;
- le risque accru d’exposition à la criminalité dans les prisons;
- des répercussions plus importantes pour les populations vulnérables qui sont détenues dans une proportion plus élevée.
- Selon Statistique Canada, il y a maintenant plus de personnes en détention qui attendent la tenue d’une audience sur la libération sous caution ou d’un procès que de personnes en détention à la suite d’une condamnation au criminel10.
La section Points de vue des participants donne un aperçu des commentaires que nous avons reçus en personne, par
écrit ou au téléphone.
« Personne ne prend la responsabilité d’informer la victime de la libération sous caution de l’accusé; tout le monde
se renvoie la balle, tenant pour acquis que quelqu’un d’autre le fera. » |
PRISE EN CONSIDÉRATION
SÉRIEUSE DES VICTIM |
- Le régime de cautionnement actuel accorde aux victimes certaines protections
et certains droits afin que leur sécurité soit assurée et qu’elles puissent obtenir
une copie de l’ordonnance de mise en liberté sous caution. Toutefois, il
n’existe actuellement aucun mécanisme pour faire en sorte qu’une victime :
- soit consultée quant à ses besoins en matière de sécurité;
- sache qu’elle a le droit de demander une copie de l’ordonnance de mise en
liberté sous caution.
- À l’heure actuelle, il n’existe aucune obligation légale d’informer
automatiquement la victime lorsqu’un délinquant est libéré sous caution. Cela
signifie qu’une victime qui se préoccupe avec raison de sa sécurité peut ne pas
avoir été informée de la mise en liberté de la personne accusée et des
éventuelles conditions imposées.
- Dans certains cas où la victime est avisée, cela se produit trop peu de temps
avant la libération, ce qui lui cause beaucoup de stress et d’anxiété et limite sa
capacité de bien planifier sa sécurité.
|
SOUPLESSE ET CAPACITÉ
À RÉPONDRE AUX
BESOINS |
- « Il devrait être possible pour les victimes de faire savoir qu’elles ont besoin de
mesures de sécurité sans que cela oblige nécessairement à garder une personne
en détention. »
- Les victimes sont moins portées à signaler un crime lorsque le système
n’est pas à leur écoute. Par exemple, dans les cas de violence
interpersonnelle, ce ne sont pas toutes les victimes qui veulent que
l’accusé soit incarcéré; ces victimes craignent souvent d’autres
conséquences pour elles et leurs enfants (comme la perte de leur foyer et
la pauvreté). Si nous voulons nous doter d’un système qui inspire
confiance et qui est utilisé, il faut qu’il soit plus souple et adaptable aux
circonstances individuelles et qu’il offre plus de mesures de soutien.
- Dans les cas de violence conjugale, l’intervention de la police ou d’autres
acteurs du système de justice pénale représente un facteur de risque important
en ce qui concerne l’escalade de la violence. La recherche démontre que le
risque de violence (y compris de violence mortelle) est à son plus haut niveau
lorsque la victime tente de quitter un partenaire violent. Elle démontre
également que le taux de violation des conditions imposées pour protéger la
victime est élevé.
- Il faut mieux sensibiliser et former les intervenants du système de justice
pénale quant au lien traumatique qui existe entre la victime et l’agresseur,
particulièrement dans un contexte de violence conjugale.
- Une victime qui revient auprès de son conjoint violent plusieurs fois peut
ne pas être prise au sérieux et être perçue comme une personne qui « crie
au loup » lorsqu’elle porte plainte.
- Il faut tenir compte davantage du point de vue des victimes quand il s’agit
d’établir ce qui constitue un comportement menaçant.
- « Il faut comprendre la dynamique qui existe depuis longtemps et ce que signifie,
par exemple, un comportement qui est perçu comme étant menaçant. La victime
connaît très bien cette personne. C’est pourquoi il faut être à son écoute. Elle est
la mieux placée pour comprendre le comportement de l’autre... »
- Il faut tenir compte des antécédents criminels d’une personne, surtout dans les
cas de violence entre partenaires intimes.
|
Cette section présente des recommandations et propose des options au gouvernement fédéral en ce qui concerne la
réforme du cautionnement. Les recommandations ont été élaborées après avoir examiné attentivement diverses
sources de données, y compris les points de vue des participants, l’expérience et les travaux antérieurs du Bureau,
des rapports de recherche et des analyses documentaires. |
AMÉLIORER LES MESURES
DE SÉCURITÉ (CODE
CRIMINEL) |
- Ajouter des infractions liées à la violence conjugale ou sexuelle à la liste des
infractions pour lesquelles il y a « inversion du fardeau de la preuve » à l’alinéa
515(6)a) du Code criminel. Il faudrait à tout le moins que la présomption en
faveur de la mise en liberté sous caution soit inversée dans le cas d’un accusé
ayant déjà été accusé ou reconnu coupable d’infractions liées à la violence
conjugale ou sexuelle.
- Exiger des procureurs qu’ils consultent les victimes avant les audiences sur la
libération sous caution, puis communiquent les détails nécessaires au juge saisi
de l’affaire ou autorisent les victimes à présenter de l’information directement
au tribunal. Un document simple permettant d’enregistrer et de présenter la
preuve relative à la sécurité des victimes ou des témoins pourrait être élaboré
et faire l’objet d’un projet pilote. Cette approche serait compatible avec les
droits existants des victimes prévus à l’article 14 de la Charte canadienne des
droits des victimes.
- Exiger que le juge ou le juge de paix demande si la victime a été consultée
concernant ses exigences en matière de sécurité lorsqu’il doit se prononcer sur
le cautionnement ou présider une audience où une modification des
conditions du cautionnement est demandée. [Pourrait être fondé sur les
paragraphes 672.5(15.2), 722(2) et 737.1(2) actuellement en vigueur.]
- Exiger que le juge ou le juge de paix informe la victime qui se présente comme
témoin à une audience sur la libération sous caution qu’elle est en droit de
s’attendre à ce que sa sécurité soit prise en considération (même s’il est rare
qu’une victime agisse en la qualité de témoin lors d’une telle audience).
[Pourrait être fondé sur les alinéas 486.4(2)a) et (2.2)a) actuellement en
vigueur.]
- Veiller, dans les situations où une personne accusée d’un acte criminel violent
ou d’un acte de violence sexuelle ou conjugale est libérée sous caution, à ce
que les victimes identifiables soient contactées et reçoivent l’information sur le
moment de la libération et les conditions liées à leur sécurité, le cas échéant.
[Pourrait s’appliquer aux paragraphes 497(1), 498(1), 499(1) et 515(4).]
- Modifier le paragraphe 515(14) du Code criminel afin qu’il énonce
explicitement qu’une copie des ordonnances de cautionnement, lesquelles
comprennent les conditions de la libération, doit être remise aux victimes
identifiables de l’acte criminel afin que ces dernières puissent en toute
connaissance de cause prendre des décisions éclairées sur la planification de
leur sécurité et le recours à des services de protection des victimes, au besoin.
- Instaurer un mécanisme par lequel les victimes sont avisées de toute demande
présentée par un accusé pour faire modifier les conditions de son
cautionnement qui ont été imposées afin d’assurer la sécurité de la victime.
[Pourrait être fondé sur les paragraphes 672.5(13.2) et (13.3) actuellement en
vigueur.]
- Exiger que la victime soit informée de son droit d’être représentée par un
avocat. [Pourrait être fondé sur le paragraphe 278.4(2.1) actuellement en
vigueur.]
- Autoriser une victime ou son représentant à communiquer des observations
relatives à la sécurité et aux mesures de sécurité. [Pourrait être fondé sur le
paragraphe 278.4(2) actuellement en vigueur.]
- Mettre en place un processus de demande par lequel des membres
additionnels de la famille – et non seulement ceux énoncés dans la Charte
canadienne des droits des victimes – susceptibles d’être concernés par une mise
en liberté sous caution pourraient demander de se voir accorder des droits à
l’information. Ils pourraient ainsi être tenus informés lorsque des conditions de
cautionnement seraient imposées ou enfreintes, afin de pouvoir prendre les
mesures de sécurité nécessaires.
- Préserver les paragraphes 497(1.1) et 498(1.1) et les dispositions législatives
similaires (c’est-à-dire veiller à la sécurité de toutes les victimes et de tous les
témoins).
- Permettre à une victime d’enclencher des procédures visant à demander une
modification des conditions de la mise en liberté lorsque des mesures de
sécurité doivent être modifiées. [Pourrait être fondé sur le paragraphe 486.1(2)
actuellement en vigueur; nouvelles dispositions dans le cadre des articles 499
et 503.]
|
ENCHÂSSER LES DROITS
DANS LA CHARTE
CANADIENNE DES DROITS
DES VICTIMES |
- L’alinéa 18(1)a) de la Charte canadienne des droits des victimes pourrait être
modifié pour mentionner expressément le cautionnement pour les rapports
visés à cet alinéa pendant l’enquête et la poursuite à l’égard d’une infraction.
- Un nouveau paragraphe pourrait être ajouté à l’article 8 de la Charte
canadienne des droits des victimes afin de conférer explicitement aux victimes
le droit à l’information concernant les procédures de cautionnement et les
conditions de la libération provisoire.
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VEILLER À CE QUE LES
VICTIMES AIENT ACCÈS À
DES MESURES DE SOUTIEN
ET À L’INFORMATION |
- Établir des exigences explicites pour que les victimes reçoivent de l’information
détaillée et explicative sur leur sécurité, en confiant de façon claire cette
responsabilité à une seule ressource facile à joindre.11
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VEILLER À CE QUE LES
POLITIQUES ET LES
PRATIQUES DE DÉTENTION
PROVISOIRE ASSURENT LA
SÉCURITÉ DES VICTIMES
ET DES TÉMOINS |
- Les politiques, la réglementation et les pratiques fédérales pourraient être
améliorées afin de mieux assurer la sécurité et le bien-être des victimes qui
acceptent de comparaître à titre de témoins (par exemple, éviter que la victime
se retrouve dans le même véhicule que la personne accusée de l’acte criminel).
Le gouvernement fédéral pourrait se faire le défenseur de ce principe lors de
l’élaboration des normes ou des cadres fédéraux, provinciaux ou territoriaux
(ou nationaux) applicables.
|
Endnotes
3 Ministère de la Justice du Canada, Étude dans de nombreux sites sur les victimes de la criminalité et les spécialistes de la justice pénale
partout au Canada, 2004, p. 45.
4 On entend par « victimisation secondaire » l’aggravation du traumatisme engendré par l’acte criminel en raison d’interactions avec des
établissements et des personnes à la suite du premier événement traumatisant.
5 Marie Manikis, “Imagining the Future of Victims’ Rights in Canada: A Comparative Perspective”, Ohio State Journal of Criminal Law (Vol 13:1), 2015, p. 167.
9 Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, Sénat du Canada, Justice différée, justice refusée : L’urgence de
réduire les longs délais dans le système judiciaire au Canada (rapport final), juin 2017, https://sencanada.ca/content/sen/committee/421/LCJC/reports/Court_Delays_Final_Report_f.pdf Cheryl Marie Webster, Lacunes relatives à
la mise en liberté sous caution au Canada : comment y remédier?, préparé pour le ministère de la Justice du Canada, juin 2015; Association
canadienne des libertés civiles, Set Up to Fail: Bail and the Revolving Door of Pre-trial Detention, juillet 2014; Statistique Canada, Tendances
de l’utilisation de la détention provisoire au Canada, 2004-2005 à 2014-2015, 2017, Trends in the use of remand in Canada, 2004/2005 to 2014/2015, 2017, https://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2017001/article/14691-fra.htm.