Qu’est-ce que la justice réparatrice?
La justice réparatrice est une façon de voir et de considérer la criminalité et le système de justice pénale. Il s’agit d’une approche globale, axée sur la collaboration et l’humanisation. Elle repose sur le principe que l’acte criminel n’est pas seulement une violation de la loi, mais qu’il porte aussi atteinte aux personnes, aux relations et aux collectivités1.
La justice réparatrice peut être définie comme une forme de justice qui met l’accent sur le redressement du tort causé par l’acte criminel :
- en tenant le délinquant responsable de ses agissements;
- en offrant aux parties touchées par l’acte criminel la possibilité de satisfaire leurs besoins et d’obtenir un règlement qui se prête à la réparation;
- en prévenant d’autres actes criminels et préjudices et une nouvelle victimisation.
Bien que plusieurs éléments de la philosophie de la justice réparatrice proviennent des systèmes judiciaires de peuples autochtones dans le monde2, il faut reconnaître au départ qu’il existe d’importantes différences entre ces systèmes et les « approches occidentales » de la justice réparatrice3
De plus, il ne faut pas confondre la justice réparatrice avec le « dédommagement ». Bien qu’il puisse en faire partie, le dédommagement consiste en une ordonnance obligeant le délinquant à payer la victime pour les pertes financières qu'elle a subies à cause de l'acte criminel.
L’aiguillage vers des services de justice réparatrice au Canada peut s’effectuer à divers points d’entrée dans le système de justice pénale – par exemple, avant la mise en accusation (par la police), après la mise en accusation (par le procureur de la Couronne), avant l’imposition de la peine (par les tribunaux), après l’imposition de la peine (par les services correctionnels) et avant la révocation (par les agents de libération conditionnelle) .4
En outre, au Canada et ailleurs, la justice réparatrice peut revêtir de nombreuses formes dont les suivantes :
- les programmes de réconciliation et les programmes de médiation entre victime et délinquant ont recours à un médiateur qualifié pour réunir la victime et le délinquant dans le but de discuter de l’acte criminel, de ses répercussions et de toute possibilité d’entente de redressement. Il existe également des variantes plus indirectes (par exemple, la rencontre est remplacée par un échange de lettres entre la victime et le délinquant);
- la conférence, qui réunit la victime, le délinquant, les accompagnateurs (par exemple, des membres de la famille) et des intervenants de la collectivité; ceux-ci travaillent ensemble pour redresser les torts, avec l’aide d’un tiers indépendant qui joue le rôle de facilitateur;
- les groupes de discussion sur les conséquences pour les victimes réunissent des victimes qui parlent à un délinquant des conséquences que l’acte criminel a eues sur leur vie;
- les groupes de discussion de victimes et de délinquants réunissent des victimes et des délinquants ayant commis un acte criminel semblable à celui qu’elles ont subi (méthode parfois appelée aussi « justice réparatrice de substitution »);
- les cercles (par exemple, de détermination de la peine, de guérison ou de libération) qui peuvent varier selon la collectivité et le contexte. Ils comportent des éléments comme le rassemblement de membres de la collectivité (par exemple, l’accusé, les Aînés et souvent la victime) pour discuter de l'infraction, de ses causes sous-jacentes et de ses répercussions – non seulement sur la victime, mais sur la collectivité et les relations – et pour déterminer la voie à suivre.
En définitive, les initiatives de justice réparatrice varient d'une collectivité à l’autre et d'une affaire à l’autre, parce que les besoins de chaque collectivité sont différents, que chaque victime est différente et que chaque acte criminel est différent (par exemple, le délinquant et la victime peuvent bien se connaître ou être des étrangers, et l'acte criminel peut être une première infraction ou une récidive).
Quels droits les victimes ont-elles actuellement en ce qui a trait à la justice réparatrice?
- En vertu de la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV), toute victime a le droit d’obtenir, sur demande, des renseignements sur les services et les programmes qui lui sont offerts, notamment les programmes de justice réparatrice.
- Le problème est que la CCDV prévoit que la victime a le droit d’obtenir des renseignements sur la justice réparatrice « sur demande ». Or, comment la victime pourrait-elle s’informer à ce sujet si elle n’est pas au courant de l’existence de la justice réparatrice? De plus, la CCDV ne précise pas à qui revient le rôle ou la responsabilité de fournir ces renseignements aux victimes.
- La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) mentionne le droit qu’ont les victimes d’avoir accès à des renseignements sur la justice réparatrice. La LSCMLC exige que le Service correctionnel du Canada informe les victimes inscrites au sujet de ses programmes de justice réparatrice et de ses services de médiation entre victime et délinquant (bien que la participation soit volontaire).
- Il est aussi question de la justice réparatrice dans le Code criminel actuel. L’article 717 permet des « mesures de rechange » qui, dans certains cas, peuvent être fondées sur la justice réparatrice. Il prévoit clairement que, pour que le recours à des mesures de rechange soit jugé pertinent, les besoins du délinquant présumé doivent être pris en compte, de même que les intérêts de la victime et de la société. Par ailleurs, certains objectifs du prononcé des peines énoncés à l’article 7185 expriment les principes de la justice réparatrice, y compris « assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité » et « susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité ».
- La question de la justice réparatrice est également abordée dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA). Cette loi régit le système canadien de justice pour les adolescents et s’applique aux jeunes âgés d’au moins 12 ans mais de moins de 18 ans, qui sont soupçonnés d’avoir commis un acte criminel. Elle comprend plusieurs dispositions visant les tribunaux de la jeunesse, lesquelles correspondent aux principes et aux pratiques de la justice réparatrice. La LSJPA encourage la reconnaissance et la réparation des torts causés aux victimes et aux collectivités; invite les victimes à participer au processus; et incite les familles et les collectivités à prendre part à la réhabilitation et à la réinsertion sociale des adolescents6.
Considérations
Recours à la justice réparatrice
- La lettre de mandat7 de la ministre de la Justice et procureur général du Canada souligne qu’un recours accru à la justice réparatrice est une priorité importante de l’examen et de la réforme du système de justice pénale du Canada.
- En mai 2016, lors de la 25e session de la Commission des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale, on a adopté une résolution déposée par le Canada concernant la justice réparatrice en matière pénale. Inspirée d’une résolution de juillet 2002 (principes de la justice réparatrice), elle propose de réunir des experts dans le but d’examiner l’utilisation et l’application des principes ainsi que des approches novatrices dans ce domaine.
- Les gouvernements de plusieurs pays ont adopté une approche de justice réparatrice dans leur système de justice pénale, par exemple l’Angleterre et le pays de Galles, les États-Unis, la France, le Japon et la Nouvelle-Zélande.
- En 2015, le Manitoba a été la première province à légiférer sur la justice réparatrice proprement dite. La Loi sur la justice réparatrice du Manitoba vise à accroître le recours à la justice réparatrice et à promouvoir la sécurité publique à l’aide d’une approche qui favorise la guérison, le redressement des torts et la réinsertion sociale. Cette loi prévoit qu’il est possible de recourir aux programmes de justice réparatrice avant ou après l’inculpation. Elle établit un conseil consultatif composé de représentants de la collectivité et du gouvernement, qui est chargé de formuler des recommandations sur la conception et la teneur des programmes de justice réparatrice, ainsi que sur les méthodes optimales de mise en œuvre, de prestation et de contrôle des programmes.
Répercussions de la justice réparatrice
- D’après une étude8 menée dans de nombreux sites sur les victimes de la criminalité et les professionnels de la justice pénale partout au Canada, ces derniers sont d’avis que la justice réparatrice serait surtout souhaitable dans les cas qui mettent en cause des jeunes ayant des démêlés avec la justice, des délinquants commettant un délit pour la première fois et des infractions mineures contre les biens. Elle serait aussi souhaitable lorsque l’infraction touche toute une collectivité, que la victime consent à participer et que le délinquant est motivé à participer.
- Selon bon nombre d’études, tant les victimes que les délinquants sont très satisfaits des processus et des résultats de la justice réparatrice. D’après une analyse de plusieurs études effectuée par le ministère de la Justice du Canada9 comparativement aux approches de justice traditionnelle, la justice réparatrice améliore la satisfaction des victimes et des délinquants et fait en sorte que les délinquants se conforment davantage à l’ordonnance de dédommagement. On note également une diminution modeste, mais statistiquement significative, du risque de récidive.
- Parmi les avantages qu’une victime peut tirer de la justice réparatrice figurent les suivants : communiquer avec le délinquant qui lui a causé du tort, si elle le souhaite; parler de l’expérience qu’elle a vécue10; faire état des répercussions que l’acte criminel a eues sur elle; obtenir des réponses aux questions qui la préoccupent11 demander des excuses sincères; et tenir le délinquant responsable du tort qu’il lui a causé.
- L’approche de la justice réparatrice peut s’avérer plus souple et plus juste sur le plan des procédures. Elle peut être plus facilement adaptée aux besoins des participants. Elle permet d’offrir des soins et du soutien, de favoriser le dialogue et d’aider les victimes à participer plus activement aux décisions et aux résultats12
- L'opinion selon laquelle la justice réparatrice représente une amélioration par rapport au système traditionnel de justice pénale accusatoire ne fait toutefois pas l’unanimité. Certains se disent préoccupés à l’idée que des victimes participent à un processus de justice réparatrice en raison des difficultés inhérentes au système de justice pénale actuel; ils soutiennent que le système lui-même devrait changer pour mieux répondre aux besoins des victimes.
Besoins et préoccupations des victimes
- Le recours grandissant à la justice réparatrice, que ce soit à titre de forme de justice supplémentaire, substitutive ou complémentaire, a suscité un dialogue et un débat continus sur les possibilités et les difficultés qu’elle présente pour les victimes et les survivants.
- Parmi les principales craintes pour les victimes prenant part à un processus de justice réparatrice, mentionnons les risques de revictimisation ou de victimisation secondaire, la pression subie pour la participation, la sécurité et la confidentialité13
- Le fait que la justice réparatrice adopte trop souvent, au point de départ, une perspective axée sur le délinquant plutôt que sur la victime (ou à parts égales) représente une autre préoccupation majeure.14
- Lorsqu’on adopte une approche axée sur le délinquant, les besoins de soutien des victimes, comme les services de counselling et les soins de suivi, peuvent être négligés dans le processus.
- Certaines victimes craignent de ne pas avoir l’occasion de voir le délinquant faire l’objet d’une poursuite dans le cadre du système de justice pénale si on a recours à la justice réparatrice15
- Des préoccupations ont été exprimées quant aux attentes de réduction de peine pour les délinquants, qui semblent être associées à la justice réparatrice.16
- Les études recensées soulignent l’importance de s’assurer que l’information, les ressources, les choix, les options et les mesures de protection sont accessibles, et que les besoins et les préoccupations des victimes et des survivants sont pleinement pris en compte.
- Quelques exemples ont été observés à l’échelle internationale où une approche axée sur la victime a été expressément adoptée en matière de justice réparatrice. Les résultats obtenus sont prometteurs et montrent que les victimes se sentent plus respectées, écoutées et satisfaites17
Pertinence
- Il y a un débat en cours quant à la pertinence de la justice réparatrice dans certains cas, par exemple ceux de violence fondée sur le sexe.
- La plupart des programmes de justice réparatrice ne disposent pas des moyens nécessaires pour traiter des cas graves impliquant des inégalités de pouvoir, comme les agressions et les abus sexuels ou la violence familiale. Il y a des programmes qui ont déployé d’importants efforts sur le plan de la formation, de la consultation et de l’établissement de partenariats avec des organismes de soutien appropriés pour offrir des services de justice réparatrice dans certains de ces cas, mais ce n’est pas la norme.
- Bon nombre de pays examinent différentes options en vue de l’élaboration de guides ou de normes qui aideraient les praticiens à évaluer les risques et à appliquer la justice réparatrice dans des cas de violence interpersonnelle et d’agressions sexuelles.
Sensibilisation
- Lors d’une étude canadienne, on a demandé à 102 victimes, dans des cas où une accusation avait été portée18 si elles avaient été informées des processus de justice réparatrice après l’acte criminel. Seulement trois des victimes ont déclaré avoir reçu cette information.
- Dans un sondage d’opinion publique commandé par le ministère de la Justice du Canada en 201619, 80 p. 100 des répondants étaient d’avis que les représentants du système de justice pénale devraient être tenus d’informer les victimes et survivants et les accusés de l’existence d’options axées sur l’acceptation de la responsabilité et le redressement des torts, comme la justice réparatrice.
- Une étude a été réalisée sur les expériences de 34 victimes de crimes graves au Canada et en Belgique20 en matière de justice réparatrice. L’étude a cerné deux grandes approches en ce qui concerne l’information offerte aux victimes sur les options de justice réparatrice : une approche protectrice (c’est-à-dire que les victimes n’en étaient informées que si elles le demandaient explicitement) et une approche proactive (c’est-à-dire que les victimes en étaient informées systématiquement). Les chercheurs ont constaté que les victimes préféraient l’approche proactive pourvu que certaines conditions soient respectées (par exemple, la participation volontaire et le recours à la justice réparatrice comme complément aux procédures judiciaires).
La section Points de vue des participants donne un aperçu des commentaires que nous avons reçus en personne, par écrit ou au téléphone.
Un des participants a résumé un point de vue clair sur la justice réparatrice que nous avons entendu à maintes reprises partout au pays :
« La justice réparatrice doit être axée sur la victime, volontaire et fondée sur des données probantes. Les programmes qui sont fondés sur des données probantes doivent bénéficier d’un financement suffisant, et le mandat ne doit pas inclure une réduction des peines prévues. »
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PRISE EN CONSIDÉRATION SÉRIEUSE DES VICTIMES |
- Il doit s’agir d’une option. Les victimes doivent avoir le choix; ce n’est pas tout le monde qui veut participer à un programme de justice réparatrice.
- La majorité des participants estimaient que le processus de justice réparatrice était déséquilibré et répondait davantage aux besoins des délinquants qu’à ceux des victimes.
- Nous entendons dire souvent que la justice réparatrice est « axée sur la collectivité », mais avons-nous vraiment tenu compte de ceux qui font partie de cette collectivité et nous sommes-nous certains que leurs opinions sur la justice réparatrice sont entendues? Les faisons-nous participer adéquatement aux processus de justice réparatrice?
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SENSIBILISATION ET COMPRÉHENSION |
- Selon les intervenants, la justice réparatrice est assez peu connue et comprise, et ce sont les victimes qui doivent faire leurs propres recherches à cet égard. La communication de renseignements et les mesures de sensibilisation devraient être plus proactives.
- Certains ont dit que l’expression « justice réparatrice » était problématique, voire offensante, et impliquait la capacité de « réparer » une personne afin de la rétablir dans la vie qu’elle menait avant que l’acte criminel soit commis. Ils aimeraient que l’on emploie une expression différente.
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OBJECTIF ET INCIDENCE |
- Il existe des différences marquées dans la façon dont les gens voient la justice réparatrice. Certains sont attirés par une approche confessionnelle, d’autres pas. Par exemple, aux yeux de certains, la justice réparatrice est en fin de compte une question de pardon, tandis que d’autres ont indiqué très clairement qu’il ne faut pas que le pardon soit un objectif de la justice réparatrice. Il devrait y avoir plus d’une approche.
- « La justice réparatrice nous aide à comprendre que nous nous préoccupons tous de justice, en tant que société. »
- « La justice réparatrice peut régler des relations toxiques fondamentales dans des familles et des collectivités, habiliter les victimes et apporter des changements importants. »
- Certains se sont dits inquiets que la justice réparatrice devienne un moyen de réduire les peines ou de les éviter.
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UTILISATION APPROPRIÉE |
- Certains aimeraient que l’on considère la justice réparatrice comme un processus fonctionnant en parallèle avec le système de justice pénale. Selon ce modèle, les victimes auraient le choix de prendre part à un processus de justice réparatrice plutôt que d’être soumises au système de justice pénale officiel, même dans les affaires de violence fondée sur le sexe et de violence sexuelle. La justification d’un tel modèle réside dans le fait que l’actuel système de justice pénale ne donne pas de bons résultats pour les victimes et qu’il faut donc prévoir autre chose pour celles-ci, et ce, dès le départ – dès que la police rencontre la victime – et lors des étapes ultérieures.
- « Nous parlons d’un système plus relationnel. S’il est impossible de déplacer le monolithe que représente le système de justice pénale, il faut que nous prenions des mesures qui gravitent autour de ce monolithe de façon à pouvoir adopter une approche axée sur la victime jusqu’à ce que le monolithe puisse changer. »
- Les opinions divergent quant à la question de savoir s’il y a lieu de recourir à la justice réparatrice pour les crimes graves commis contre des personnes. Ceux qui avaient des doutes à cet égard se préoccupaient de la sécurité, de la coercition, de l’intimidation et de la dynamique du déséquilibre des rapports de force dans les affaires de violence familiale et sexuelle. D’autres ont mentionné des avantages possibles, comme l’ont indiqué des recherches montrant des taux de récidive inférieurs chez ceux qui avaient commis un acte criminel grave et qui avaient participé à un programme de justice réparatrice.
- Certains défenseurs des victimes et certains groupes de femmes autochtones ne croient pas que la justice réparatrice convienne dans les cas de violence sexuelle et familiale. À leur avis, la justice réparatrice fait reculer le travail qui a été accompli pour attirer l’attention du public sur la violence sexuelle et familiale, et la punir, en procédant à une privatisation. De plus, en combinaison avec le déséquilibre des rapports de force entre les sexes dans les collectivités autochtones (développé par suite du processus de colonisation), cela peut engendrer plus de souffrances pour les femmes.
- Il ne peut s’agir d’une approche qui convienne à toutes les situations. Il faut qu’elle soit étudiée et adaptée dans une large mesure en fonction de certains groupes de victimes, comme les enfants, les personnes âgées et les Autochtones. Dans certains de ces cas, il pourrait être préférable de ne pas y recourir afin d’éviter de causer d’autres dommages.
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CONSIDÉRATIONS CULTURELLES |
- La terminologie est importante et il faut l’utiliser de manière appropriée. Par exemple, la justice réparatrice n’est pas une « pratique traditionnelle » autochtone, mais un système de justice, qui diffère d’une collectivité à l’autre.
- On nous a dit que l’un des objectifs de la justice réparatrice était que l’État renonce à certains de ses pouvoirs et les remettent à la collectivité pour traiter des questions relatives à la justice. Cependant, cela pose problème pour les collectivités autochtones, en ce sens que :
- cette approche tient pour acquis ou impose une définition de la « collectivité », mais les collectivités doivent pouvoir se définir elles-mêmes et affirmer leur identité, et les programmes communautaires doivent être mis en place à partir de la base;
- cette approche ne reconnaît pas les difficultés qu’ont certaines collectivités à résoudre des problèmes de criminalité causés par les effets endémiques et dévastateurs du colonialisme.
- Les cercles de détermination de la peine remettent souvent le fardeau de la « guérison » du délinquant à la collectivité et à la famille de ce dernier sans fournir de ressources à l’appui. Cela met malencontreusement plus l’accent sur la guérison du délinquant que sur celle des victimes ou de la collectivité. Plusieurs groupes de femmes autochtones affirment que les « personnes qui survivent à la violence ne sont pas protégées et soutenues dans le cercle ».
- Le fait que l’élaboration de programmes de justice réparatrice suscite des points de vue contradictoires revêt une certaine valeur. Certains pensent qu’il devrait y avoir des normes, des lignes directrices ou des principes convenus pour que la justice réparatrice soit d’une qualité uniforme et exécutée de manière à ne pas causer de dommages supplémentaires. D’autres nous ont clairement indiqué que les praticiens devaient disposer de la souplesse nécessaire pour élaborer des programmes répondant aux besoins de leur collectivité, soit des programmes créés à partir de la base, sans cadres imposés. Ces deux points de vue ont du mérite. Il faudrait donc les étudier et en discuter davantage pour résoudre cette contradiction.
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RESSOURCES |
- Il y a une pénurie de programmes dans de nombreuses collectivités en raison du manque de financement et de ressources. Par exemple, dans certaines régions du Nord, les poursuivants n’ont pas la possibilité d’orienter une affaire vers une mesure de substitution, à moins que l’accusé soit disposé à faire la navette entre deux collectivités. Or, si elles étaient disponibles, de telles mesures pourraient contribuer à répondre à certaines des préoccupations de la victime.
- « Mon [programme de justice réparatrice communautaire] obtient de bons résultats, mais il survit grâce à des dons obtenus par la vente de pâtisseries. »
- La capacité d’exécution et la viabilité des programmes doivent être soigneusement examinées avant qu'ils soient lancés. Les praticiens doivent être formés avec soin et, ce qui est tout aussi important, ils doivent convenir pour ce travail.
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Cette section présente des recommandations et propose des options au gouvernement fédéral en ce qui concerne la justice réparatrice. Les recommandations ont été élaborées après avoir examiné attentivement diverses sources de données, y compris les points de vue des participants, l’expérience et les travaux antérieurs du Bureau, des rapports de recherche et des analyses documentaires.
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ACCROÎTRE LA SENSIBILISATION ET LA COMPRÉHENSION |
- Élaborer une stratégie nationale de justice réparatrice axée sur la victime, en consultation avec des victimes, des organismes de services aux victimes et des chercheurs. Engager au préalable un dialogue fructueux avec les provinces et territoires et les personnes travaillant au sein du système de justice pénale ou y ayant accès, entre autres, pour leur permettre de proposer des solutions opérationnelles et stratégiques qui sont concrètes et pratiques.
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METTRE DES RESSOURCES À LA DISPOSITION DES VICTIMES |
- Fournir du financement afin d’aider les victimes à recourir à la justice réparatrice. Un tel financement constituerait une indemnisation pour la participation des victimes à un processus de justice réparatrice et réduirait les sommes qu’elles auraient à débourser. Des fonds et des ressources devraient être offerts pour soutenir les victimes avant, pendant et après le processus.
- Prévoir des fonds pour les organismes de justice réparatrice afin qu’ils puissent accomplir leur travail. Mettre aussi des fonds à la disposition d’équipes collaboratives de justice réparatrice, qui sont spécialisées dans les services axés sur la victime.
- Étudier la possibilité de fournir aux victimes des services de représentation juridique sans frais afin de faciliter leur participation et de faire en sorte qu’elles soient pleinement informées de leurs droits dans le cadre du processus et des conséquences possibles de leur participation.
- Créer un registre de justice réparatrice auquel pourraient s’inscrire les victimes, les accusés et les délinquants intéressés. Lorsque le registre établirait une correspondance pour amorcer un processus de justice réparatrice, les services aux victimes entreraient en contact avec la victime et les services aux délinquants entreraient en contact avec le délinquant. Les deux types de services travailleraient de concert pour assurer le recours au processus de justice réparatrice.
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ÉLARGIR LA PORTÉE DE LA LÉGISLATION |
- Modifier la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV) pour exiger que les victimes soient informées automatiquement de la possibilité de recourir à la justice réparatrice. À l’heure actuelle, la CCDV prévoit uniquement qu’une victime a le droit d’obtenir « sur demande » de l’information sur la justice réparatrice. La CCDV ne dit pas qui est chargé de fournir cette information aux victimes. Il est donc possible que les victimes ne disposent pas de renseignements importants sur cette option.
- Étudier des options afin que les ordonnances de dédommagement fassent partie intégrante du processus de justice réparatrice et que des mécanismes de collecte appropriés soient mis en place pour appuyer le paiement des ordonnances.
- Le Canada pourrait examiner et adopter certains éléments de l’approche suivie par la Nouvelle-Zélande en matière de justice réparatrice. Dans ce pays, une nouvelle disposition a été ajoutée en 2014 à la Sentencing Act pour exiger que les tribunaux ajournent une instance criminelle afin de prendre en considération le recours à la justice réparatrice quand certains critères sont respectés. L’approche suivie est axée sur la victime.
- Fixer des normes minimales pour les droits, le soutien et la protection des victimes dans le contexte des services de justice réparatrice, comme celles qui sont décrites au paragraphe 46 du préambule de la Directive 2012/29/UE de l’Union européenne :
Les services de justice réparatrice, tels que la médiation entre la victime et l'auteur de l'infraction, la conférence en groupe familial et les cercles de détermination de la peine, peuvent être très profitables à la victime mais nécessitent la mise en place de garanties pour éviter qu'elle ne subisse une victimisation secondaire et répétée, des intimidations et des représailles. Par conséquent, ces services devraient accorder la priorité aux intérêts et aux besoins de la victime, à l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi et à la prévention de tout nouveau dommage. Des éléments tels que la nature et la gravité de l'infraction, le niveau du traumatisme occasionné, la violation répétée de l'intégrité physique, sexuelle ou psychologique de la victime, les déséquilibres dans les rapports de force, l'âge, la maturité ou la capacité intellectuelle de la victime, qui pourraient limiter ou réduire son aptitude à décider en connaissance de cause ou compromettre une issue positive pour elle, devraient être pris en considération lorsqu'il s'agit de renvoyer une affaire aux services de justice réparatrice et durant ce processus de justice réparatrice...
- Mettre en place un droit à des garanties dans le contexte des services de justice réparatrice, comme celui qui figure dans les dispositions générales de la Directive 2012/29/EU de l’Union européenne, à l’article 12 :
Droit à des garanties dans le contexte des services de justice réparatrice
1. Les États membres prennent des mesures garantissant la protection de la victime contre une victimisation secondaire et répétée, des intimidations et des représailles, applicables en cas de recours à tout service de justice réparatrice. Ces mesures garantissent l'accès de la victime qui choisit de participer au processus de justice réparatrice à des services de justice réparatrice sûrs et compétents aux conditions suivantes :
a) les services de justice réparatrice ne sont utilisés que dans l'intérêt de la victime, sous réserve de considérations relatives à la sécurité, et fonctionnent sur la base du consentement libre et éclairé de celle-ci, qui est révocable à tout moment;
b) avant d'accepter de participer au processus de justice réparatrice, la victime reçoit des informations complètes et impartiales au sujet de ce processus et des résultats possibles, ainsi que des renseignements sur les modalités de contrôle de la mise en œuvre d'un éventuel accord...
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MENER DES RECHERCHES ET ÉVALUER CELLES QUI SONT EN COURS |
- Mener des recherches empiriques de façon continue afin d’étudier les effets de la justice réparatrice. Évaluer son utilisation notamment en fonction de divers types d’actes criminels et de groupes (par exemple, les enfants et les personnes âgées). Les recherches devraient aussi évaluer les expériences des victimes, le degré de satisfaction et les résultats obtenus.
- Établir un groupe consultatif, indépendant du gouvernement, pour examiner les données probantes. Ce groupe pourrait se pencher non seulement sur les résultats positifs, mais aussi sur les effets négatifs et les coûts.
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Endnotes
1 Tinneke Van Camp et Jo-Anne Wemmers, « Victims’ Reflections on the Protective and Proactive Approaches to the Offer of Restorative Justice: The Importance of Information », Revue canadienne de criminologie et de justice pénale (vol. 58, no 3), 2016, consulté en juillet 2017,http://www.utpjournals.press/doi/pdf/10.3138/cjccj.2015.E03
2 M. Achtenberg, « Comprendre la pratique de la justice réparatrice dans le contexte autochtone », FORUM - Recherche sur l'actualité correctionnelle (vol. 12, no 1), 2000, Service correctionnel du Canada, Ottawa.
3 Voir, par exemple, Michael Jackson, « In Search of the Pathways to Justice: Alternative Dispute Resolution in Aboriginal Communities », UBC Law Review, Special Edition: Aboriginal Justice, 1992.
4 L’efficacité des pratiques de la justice réparatrice : Méta-analyse, ministère de la Justice du Canada, 2001.
5 Dans l'arrêt R c. Gladue [1999, CanLII 679 (CSC) (Gladue)], la Cour suprême du Canada a reconnu que les principes de la justice réparatrice s’appliquent à tous les délinquants, avant d’interpréter l’alinéa 718.2e) du Code criminel en disant qu’il faut accorder une attention particulière à la justice réparatrice pour les délinquants autochtones. La Cour a passé en revue certaines initiatives de justice réparatrice en vigueur, mais elle a dit clairement que les principes de justice réparatrice ne se limitaient pas aux processus de détermination de la peine actuels, laissant ainsi la porte ouverte à des solutions de rechange à la justice réparatrice.
6 Ces objectifs se reflètent, par exemple, dans : l’article 3, Déclaration de principes, qui s'applique à l’ensemble de la LSJPA; les articles 4 et 5, qui établissent les principes et les objectifs des mesures extrajudiciaires (l’article 12 établit le droit des victimes à l’information, sur demande, dans les cas où l’adolescent fait l’objet de mesures extrajudiciaires); et l’article 38, qui énonce l’objectif et les principes de la détermination de la peine. L’article 42 de la LSJPA offre aux tribunaux plusieurs options de peines réparatrices, par exemple la prestation de services personnels à la victime, le service communautaire et des ordonnances de probation qui comprennent la médiation entre la victime et le délinquant. L’article 19 de la LSJPA est particulièrement pertinent : il prévoit la convocation de conférences. Les conférences peuvent se dérouler dans une optique réparatrice, par exemple une conférence réparatrice qui fait participer l’adolescent, la victime et d’autres membres de la collectivité à une discussion sur la façon dont l’adolescent pourrait être tenu responsable d’une infraction en dédommageant la victime.
8 L’étude, menée pour le compte du ministère de la Justice du Canada, a porté sur 16 sites situés dans les 10 provinces; les territoires n’ont pas été inclus dans l’étude.
10 Voir, par exemple, S. Jülich, J. Buttle, C. Cummins et E.V. Freeborn, Project Restore : An Exploratory Study of Restorative Justice and Sexual Violence, Auckland University of Technology, 2010; M. Keenan, Sexual Trauma and Abuse : Restorative and Transformative Possibilities?, University College Dublin, 2014; et C. McGlynn, N. Westmarland et N. Godden, « I Just Wanted Him to Hear Me : Sexual Violence and the Possibilities of Restorative Justice », Journal of Law and Society, 2, 2012, 213-240.
11 Voir, par exemple, M. Keenan, Sexual Trauma and Abuse : Restorative and Transformative Possibilities?, University College Dublin, 2014; et Susan Herman, « Is Restorative Justice Possible Without a Parallel System for Victims? », dans Howard Zehr et Barb Toews (sous la dir.), Critical Issues in Restorative Justice, Monsey, New York, Criminal Justice Press, 2004, 75-83.
12 S. Curtis-Fawley and K. Daly, “Gendered Violence and Restorative Justice: The Views of Victim Advocates”, Violence Against Women, (Vol 11:5), 2005, 603-638.
13 Nations Unies, Handbook on Restorative Justice Programs, Criminal Justice Handbook Series, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2006.
14 Voir, par exemple, Jo-Anne Wemmers, « Review of the First International Symposium on Restorative Justice for Juveniles », The Victimologist (vol. 1, no 1), 1997, p. 5; et T. Marshall et S. Merry, Crime and accountability : Victim/Offender mediation in practice, Londres, Her Majesty’s Stationary Office, 1990.
18 Ministère de la Justice du Canada, Étude dans de nombreux sites sur les victimes de la criminalité et les spécialistes de la justice pénale partout au Canada, 2004.
19 Ministère de la Justice du Canada, Étude dans de nombreux sites sur les victimes de la criminalité et les spécialistes de la justice pénale partout au Canada, 2004.