Soutien concret aux victimes
Selon des études récentes, les coûts économiques et sociaux tangibles des infractions prévues par le Code criminel au Canada ont totalisé environ 31,4 milliards de dollars en 2008...
...dont 14,3 milliards de dollars découlaient directement des actes criminels pour les victimes et avaient trait notamment aux soins médicaux, à l'hospitalisation, à la perte de salaire, aux absences scolaires et aux biens volés ou endommagés .
LE FARDEAU DES VICTIMES S'ALOURDIT – 83 p. 100 – lorsqu'on additionne les coûts tangibles et les coûts intangibles.
Il est évident que les victimes assument un lourd fardeau à la suite d'un crime. Il n'est pas étonnant alors de constater que l'une des plaintes ou remarques les plus souvent formulées par les victimes au BOFVAC concerne le manque de mesures concrètes de soutien à leur disposition après le crime et les étapes du procès, de l'incarcération et de la mise en liberté sous condition, ou le manque d'uniformité de l'application de ces mesures.
La majorité des services auxquels les victimes font référence, par exemple le counseling, l'indemnisation et l'aide financière, relèvent des provinces et non du gouvernement fédéral, de sorte qu'ils excèdent le mandat du BOFVAC et le cadre du présent rapport. Il convient cependant de reconnaître que la nécessité d'assurer aux victimes un soutien concret et des services en tout temps est un réel besoin exprimé presque uniformément partout au pays.
À l'échelon fédéral, deux mesures importantes pourraient être améliorées : la suramende compensatoire fédérale et le dédommagement. Si ces mesures sont appliquées de manière appropriée, elles peuvent contribuer à offrir un meilleur soutien aux victimes, que ce soit directement ou au moyen de services d'aide.
La suramende compensatoire fédérale
La suramende compensatoire fédérale a été créée pour fournir un soutien financier aux services provinciaux et territoriaux d'aide aux victimes et pour établir un lien entre le crime d'un délinquant et la responsabilité de celui-ci envers la victime.
La suramende n'excède généralement pas 100 $, quoiqu'elle puisse varier selon les circonstances. La loi exige qu'elle soit infligée dans tous les cas, sauf si le délinquant peut démontrer que le paiement de la suramende lui causerait – ou causerait aux personnes à sa charge – un préjudice injustifié. Lorsqu'un juge décide de ne pas infliger la suramende compensatoire, il doit consigner ses motifs au dossier du tribunal.
Des études ont toutefois révélé que les juges décident régulièrement de ne pas infliger la suramende compensatoire et qu'ils ne motivent pas leurs décisions. Selon une recherche menée au Nouveau-Brunswick par le ministère de la Justice en 2005-2006, dans 99 p. 100 des dossiers examinés où l'amende n'avait pas été infligée, aucun document n'indiquait que le délinquant avait démontré « de façon satisfaisante qu'une suramende compensatoire fédérale lui causerait un préjudice injustifié » . Sans surprise, les recettes escomptées qui devaient être générées par l'infliction automatique de la suramende compensatoire fédérale ne se sont pas réalisées. Ces conclusions correspondent de manière générale à celles d'études semblables menées en Colombie-Britannique et en Ontario.
Le BOFVAC a écrit au ministre de la Justice à plusieurs reprises au sujet de la suramende compensatoire et a été heureux de voir le gouvernement s'engager à la rendre automatique et à doubler les montants exigés pendant la période électorale de 2011.
En plus de l'infliction de la suramende compensatoire fédérale, certains défenseurs des droits des victimes sont d'avis qu'une plus grande attention doit être portée à l'utilisation des fonds recueillis après leur remise aux provinces et territories. Bien qu'il appartienne aux provinces de décider de la façon de dépenser les fonds (services aux victimes, mesures d'indemnisation, etc.), il y en a qui estiment qu'elles devraient rendre des comptes de leurs dépenses et peut-être aussi du respect des normes de base établies. À l'heure actuelle, chaque province ou territoire a ses propres régimes et services d'aide aux victimes. En conséquence, l'endroit au Canada où le crime a été commis ou le lieu où demeure la victime déterminera des ressources et des services de soutien auxquels celle-ci pourra avoir recours. Faute de directives, il peut y avoir des différences importantes au regard de la façon dont les sommes sont dépensées et aucun moyen de vérifier qu'elles sont utilisées de la manière qui répond le mieux aux besoins des victimes.
Le dédommagement
Le dédommagement est imposé de façon discrétionnaire par ordonnance de la cour et versé aux victimes par le délinquant et vue de couvrir les pertes quantifiables. Le dédommagement est imposé, certes, au bénéfice des victimes, mais également pour aider le délinquant à reconnaître le préjudice qu'il a causé aux victimes et à en être tenu responsable. En fin de compte, en plus d'être avantageux pour les victimes, le dédommagement fait partie du processus de réadaptation du délinquant et contribue ainsi à l'efficacité du système correctionnel dans l'ensemble.
Malheureusement, le dédommagement est une mesure peu utilisée et peu appliquée au Canada, ce qui a des répercussions négatives sur les victimes d'actes criminels.
Selon le Recueil sur les victimes d'actes criminels du ministère de la Justice du Canada, une étude réalisée en Nouvelle-Écosse (par Martell Consulting Services en 2002) a révélé que, en dépit de l'appui exprimé en faveur du dédommagement en tant que condition imposée lors de la détermination de la peine, le dédommagement ne se retrouve qu'en périphérie du système de justice pénale et les victimes sont généralement peu informées de son existence. L'étude canadienne a conclu que trois principaux obstacles nuisent à l'accessibilité des ordonnances de dédommagement aux victimes : (1) la non-exécution de ces ordonnances par le système de justice pénale; (2) les coûts qu'elles entraînent pour les victimes; (3) l'obligation qu'a la victime de recueillir des renseignements sur le délinquant, ce qui est nécessaire quand on enregistre une ordonnance de dédommagement en tant que jugement civil.
Un autre obstacle à l'utilisation des ordonnances de dédommagement est le fait que l'on considère que ces ordonnances sont appropriées uniquement quand le montant de la perte peut être facilement déterminé et n'est pas contesté vigoureusement. En réalité, obtenir un dédommagement pose souvent des problèmes parce qu'il peut être difficile pour la victime de fournir à la Couronne les renseignements nécessaires concernant les pertes au moment de la détermination de la peine, de sorte que la Couronne n'est pas en mesure de demander que le tribunal rende une ordonnance de dédommagement.
À l'heure actuelle, les victimes qui veulent faire exécuter une ordonnance de dédommagement doivent intenter une poursuite au civil, une démarche qui coûte souvent extrêmement cher et qui oblige les victimes à passer encore plus de temps à se battre pour obtenir ce qui aurait dû leur être donné d'office. Ce fardeau ne devrait jamais incomber aux victimes.
Réorienter la conversation
Le BOFVAC estime que le gouvernement doit rapidement augmenter le montant de la suramende compensatoire et rendre celle-ci automatique. Il doit aussi trouver des moyens d'assurer une exécution plus rigoureuse des ordonnances de dédommagement.
Une façon de tenir les délinquants responsables de leurs actes serait de les obliger à payer le dédommagement et la suramende compensatoire pendant leur incarcération et à autoriser le SCC à déduire un montant raisonnable du revenu du délinquant pour acquitter les sommes en souffrance. De même, comme le versement du dédommagement prévu par l'ordonnance montre que le délinquant reconnaît sa responsabilité et qu'il a l'intention de compenser le préjudice causé à la victime, il faudrait en tenir compte dans toute décision relative à la libération conditionnelle.
Ce concept est déjà appliqué aux États-Unis au moyen de l'Inmate Financial Responsibility Program (IFRP). Dans le cadre de ce programme administré par le Federal Bureau of Prisons du département de la Justice des États-Unis, chaque détenu devant verser une somme d'argent est encouragé, peu importe ses ressources financières, à élaborer une entente de paiement. Grâce à un système d'information automatisé, le personnel peut passer en revue les obligations financières d'un délinquant et vérifier s'il s'en acquitte. Le non-respect de l'entente de paiement est pris en compte lorsque des décisions sont prises relativement à la libération conditionnelle, au type d'établissement, à l'attribution d'un travail, à la rémunération au rendement, aux gratifications associées à la mise en liberté et aux programmes communautaires.
L'efficacité du programme est assurée par l'exécution des obligations par les établissements, la surveillance par les bureaux régionaux et l'examen des programmes. Comme dans le cas de la suramende compensatoire fédérale – à l'exception des paiements versés directement aux victimes à titre de dédommagement – la plus grande partie des fonds recueillis par l'IFRP sont déposés dans le Crime Victims' Fund, puis sont distribués aux États pour financer les programmes d'indemnisation et d'aide aux victimes.
Depuis le lancement du programme, des millions de dollars ont été recueillis pour financer et promouvoir les programmes d'aide aux victimes. Par ailleurs, les taux de participation et de perception ont augmenté au fil des ans.
Pour favoriser l'utilisation des ordonnances de dédommagement, il faudrait obtenir des renseignements auprès des victimes pendant l'enquête présentencielle afin d'évaluer la perte financière qui sera prise en compte aux fins de la sentence. En outre, il est souhaitable de fournir aux victimes les lignes directrices sur la façon d'étayer les pertes en vue d'obtenir un dédommagement.
Recommandations
- Obliger les juges à envisager la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement dans tous les cas où l'infraction a fait une victime et à motiver leurs décisions de ne pas rendre une telle ordonnance, en adoptant des dispositions semblables à celles relatives à la suramende compensatoire fédérale et en modifiant le paragraphe 738(1) du Code criminel.
- Subsidiairement, conférer aux victimes le droit de demander un dédommagement et le droit de porter en appel une décision rejetant cette demande, en modifiant le paragraphe 738(1) du Code criminel.
- Remettre aux victimes des lignes directrices détaillées sur la façon d'étayer leurs pertes en vue d'obtenir un dédommagement.
- Ne plus exiger que le montant du dédommagement soit facilement déterminable ou permettre au tribunal de rendre une ordonnance de dédommagement dont le montant est « à déterminer » si tous les frais ne sont pas connus au moment de l'infliction de la peine (c.-à-d. exiger des juges qu'ils reportent l'infliction de la peine jusqu'à ce que des renseignements soient obtenus ou permettre que le montant du dédommagement soit déterminé ultérieurement par un agent de probation ou de libération conditionnelle, la commission des libérations conditionnelles, etc.).
- Examiner la capacité du gouvernement fédéral de déduire le montant du dédommagement des paiements fédéraux (chèques de remboursement de TPS, prestations d'assurance-emploi, etc.).
- Tenir les délinquants responsables en imposant des conditions qui font en sorte qu'ils se conforment aux ordonnances de dédommagement et à la suramende compensatoire fédérale et en autorisant le SCC à déduire des montants raisonnables du revenu d'un délinquant pour payer le dédommagement ou la suramende compensatoire fédérale en souffrance.
- Doubler le montant de la suramende compensatoire fédérale et la rendre obligatoire dans tous les cas sans exception.