Lettre adressée au Premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, concernant le projet de loi 16, Victims of Crime Fund

 

Par courriel

Le 30 juin 2020

L’honorable Jason Kenney
Premier ministre de l’Alberta
Legislature Building
10800, 97e avenue, bureau 307
Edmonton (Alberta) T5K 2B6

Objet : Projet de loi 16, Victims of Crime Fund

Monsieur le Premier Ministre,

Une partie importante de mon mandat à titre d’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels consiste à faire connaître les besoins et les préoccupations des victimes d’actes criminels, de promouvoir et de cerner les programmes et services connexes et d’en faciliter l’accès aux victimes.

Je vous adresse la présente à la suite d’inquiétudes soulevées auprès du Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels (le Bureau) au sujet de répercussions possibles du projet de loi 16, Victims of Crime Fund, qui propose d’apporter des modifications à la Victims of Crime Fund, RSA 2000 c. V-3 (l’AVCA). Les modifications proposées sont particulièrement préoccupantes en ce qu’elles permettront que les fonds destinés aux services aux victimes soient réaffectés pour appuyer des mesures de sécurité publique, plus précisément les services de police et les avocats de la Couronne.

Le mandat du Bureau porte sur des questions de compétence fédérale, et un pourcentage des fonds de l’AVCA provient de suramendes compensatoires perçues en vertu du Code criminel. Le paragraphe 737(5) du Code criminel porte que les suramendes compensatoires sont affectées à l’aide et aux services aux victimes d’actes criminels selon les instructions du gouvernement de la province où elles ont été infligées. Bien que je sois consciente du fait qu’il existe un surplus dans le fond de l’AVCA, j’ose espérer que les modifications proposées n’entraîneront pas une baisse des services offerts aux victimes et aux survivants d’actes criminels.

La Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir (la Déclaration), adoptée par les Nations Unies en 1985, s’applique à tous les États membres, y compris le Canada. Cette Déclaration énonce certains services qui devraient être accordés aux victimes d’actes criminels, notamment des programmes d’indemnisation, l’assistance médicale et sociale, la restitution et l’accès à la justice. Le paragraphe 737(5) du Code criminel repose sur cette Déclaration et, pour qu’il soit satisfait aux normes énoncées, celles‑ci doivent être respectées dans tout le pays. Il est donc impérieux, grâce à un effort collectif auquel participent nos partenaires à l’échelle provinciale et territoriale, de faire en sorte que les suramendes compensatoires perçues en vertu des dispositions du Code criminel respectent cet engagement. L’utilisation des suramendes compensatoires à une fin autre que la prestation de services aux victimes irait à l’encontre de l’esprit de la Déclaration et, par voie de conséquence, des responsabilités du Canada envers les victimes d’actes criminels. Je tiens également à souligner que les programmes à frais partagés fédéraux et provinciaux relatifs aux services aux victimes ont été supprimés lorsque la suramende compensatoire a été intégrée dans le Code criminel. Cela veut dire qu’il est encore plus essentiel que les fonds provenant de suramendes compensatoires soient affectés aux services aux victimes.

On ne saurait trop insister sur la valeur de programmes et de services bien financés pour les victimes d’actes criminels. Au Bureau, nous entendons régulièrement des victimes et des survivants d’actes criminels qui ont le sentiment que les interactions avec le système de justice pénale mènent à un nouveau traumatisme et à une victimisation secondaire. Les victimes ont tendance à craindre de ne pas être crues, d’être confrontées à des stéréotypes et à des reproches et sont intimidées par la bureaucratie souvent peu accueillante et peu réactive à laquelle elles sont confrontées lorsqu’elles choisissent de faire appel au système de justice pénale. Par conséquent, de nombreuses victimes ne signalent pas le crime, et cela est particulièrement vrai pour les victimes d’agressions sexuelles : nous savons que 95 p. 100 des victimes ne signaleront pas le crime. À toutes les étapes du système de justice pénale, les victimes ont l’impression que leurs droits, leurs besoins et leur dignité passent après ceux de l’auteur de l’infraction qui leur a causé du tort.

L’existence de services d’aide aux victimes, et l’accès à ceux‑ci, peut largement contribuer à améliorer l’expérience d’une victime qui essaie de se remettre des traumatismes de la victimisation. Les victimes ne demandent pas à être victimisées, et il ne devrait pas leur incomber de déterminer les prochaines étapes. Les services d’aide aux victimes jouent un rôle essentiel, car ils permettent aux victimes de déterminer si elles veulent signaler le crime, d’être informées au sujet des processus et procédures, d’être appuyées dans les procédures judiciaires et celles relatives à la police, de communiquer avec des fournisseurs de services de counselling ou d’autres soutiens psychologiques ou en matière de santé et d’obtenir ces services à la suite d’une victimisation. Non seulement ce sont des services essentiels offerts aux victimes, mais il s’agit aussi d’une indication aux victimes selon laquelle leur expérience compte au sein du système de justice pénale. Les victimes et les survivants d’actes criminels ont besoin d’avoir une aide bien financée et accessible à laquelle ils ont droit.

J’ose espérer que les considérations qui précèdent seront certainement prises en compte dans le processus décisionnel concernant le projet de loi 16. Je suis persuadée que, tout comme moi, vous appuyez l’objectif consistant à faciliter l’accès des victimes et des survivants d’actes criminels aux services et aux soutiens fort nécessaires qui peuvent être très utiles en ce qui concerne les interactions traumatisantes ou positives avec le système de justice pénale. Je vous serais reconnaissante de bien vouloir m’accorder une occasion d’en discuter davantage avec vous.

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

 

Heidi Illingworth
Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels