Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels
La Loi sur la Charte des droits des victimesi a reçu la sanction royale le 23 avril 2015, édictant ainsi la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV)ii . Entrée en vigueur le 23 juillet 2015, la loi conférait des droits à l’échelle fédérale aux victimes d’actes criminels, pour la première fois dans l’histoire du Canada, notamment le droit à l’information, le droit à la protection, le droit de participation et le droit au dédommagement. En vertu de la CCDV, les victimes ont également le droit de déposer une plainte auprès d’un ministère ou d’un organisme fédéral si elles estiment que leurs droits n’ont pas été respectés.
Or, les droits des victimes prévus par la CCDV ne s’appliquent pas dans le cas des infractions au sens de la Loi sur la défense nationale (« infractions d’ordre militaire »iii ) ce qui fait en sorte que les victimes d’actes criminels dans le système de justice militaire canadien ne sont pas en mesure de se prévaloir de ces droits.iv Certaines mesures concernant les victimes se retrouvent dans la Loi sur la défense nationalev et les initiatives stratégiques mises en place pour soutenir les victimes, mais elles ne sont pas suffisantes.
Le projet de loi C 77, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, propose de corriger cette situation en consacrant les droits des victimes dans le système de justice militaire. Le projet de loi vise l’adjonction d’une nouvelle section (section 1.1, intitulée « Déclaration des droits des victimes ») au code de discipline militaire, à la partie III de la Loi sur la défense nationale. La section 1.1 conférerait aux victimes d’infractions d’ordre militaire le droit à l’information, à la protection, à la participation et au dédommagement. Il est également proposé d’accorder aux victimes d’infractions d’ordre militaire le droit de porter plainte si elles sont d’avis qu’il y a eu violation ou négation de leurs droits en vertu de la nouvelle Déclaration.
En outre, le projet de loi propose des modifications aux procédures devant la cour martiale afin de permettre aux victimes d’infractions d’ordre militaire d’exercer leurs droits, notamment :
Le projet de loi ouvre également la voie à l’expression et à la reconnaissance du tort causé par les infractions d’ordre militaire en permettant la présentation :
En tant qu’ombudsman, je crois fermement que toutes les victimes d’actes criminels, y compris celles qui servent dans les Forces armées canadiennes et d’autres victimes d’infractions d’ordre militaire, devraient avoir accès à des droits prévus par la loi qui répondent à leurs besoins en matière d’information, de participation, de protection et de dédommagement. Depuis près d’une décennie, le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels (BOFVAC) réclame des changements qui permettraient d’intégrer ces types de droits dans le système de justice militaire et de corriger les déséquilibres profonds qui existent entre les droits des victimes et des survivants dans les systèmes de justice militaire et civile.
À titre d’exemple, le BOFVAC a écrit à l’ancien ministre de la Défense nationale le 4 juin 2015 pour appuyer l’ancien projet de loi C 71vi , Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et le Code criminel (Loi sur les droits des victimes au sein du système de justice militaire). À l’instar du projet de loi C 77, l’ancien projet de loi C 71 visait l’adjonction d’une « Déclaration des droits des victimes » au code de discipline militaire de la Loi sur la défense nationale, qui aurait accordé aux victimes d’infractions d’ordre militaire au sein du système de justice militaire des droits à l’information, à la protection, à la participation et au dédommagement, conformément à ceux accordés à toutes les victimes d’infractions criminelles en vertu de la CCDV. Malheureusement, le projet de loi, qui a été présenté le 15 juin 2015, est mort au Feuilleton peu après la dissolution du Parlement en vue des élections générales fédérales.
Depuis cette date, le BOFVAC a continué de plaider en faveur du dépôt d’un projet de loi semblable. Le 3 décembre 2015, le BOFVAC a transmis à ce sujet une lettre à l’honorable Harjit Singh Sajjan, ministre de la Défense nationale. L’ombudsman a reçu une réponse du ministre Sajjan le 22 mars 2016, dans laquelle celui-ci reconnaissait la disparité entre les droits accordés aux victimes d’actes criminels dans le système de justice pénale civil et le système de justice militaire. Dans sa réponse, le ministre Sajjan soulignait que cette lacune d’ordre législatif constituerait une priorité à l’avenir.
En novembre 2016, le BOFVAC a continué de réclamer des changements dans le mémoire qu’il a présenté au Bureau du juge avocat général (JAG) dans le contexte des consultations que celui ci a menées auprès des Canadiens dans le cadre de son examen exhaustif du système de la cour martiale. Les consultations ont porté notamment sur les besoins spéciaux de groupes au sein du système de justice militaire, y compris les victimes. Le mémoire du BOFVAC, intitulé «Combler les lacunes dans les droits des victimes d’actes criminels au sein du système canadien de justice militaire : une question d’équité envers toutes les victimes » contenait deux recommandations. La première était d’harmoniser les droits des victimes prévus dans la Loi sur la défense nationale et dans la CCDV, et la deuxième était que les Forces armées canadiennes doivent veiller à ce que leurs politiques, procédures et pratiques internes ― dans la mesure où celles ci touchent, ou peuvent toucher, les victimes d’actes criminels ― répondent aux besoins et aux préoccupations des victimes.
Les observations du Bureau du JAG dans son rapport interne préliminaire de janvier 2018 sur l’examen qu’il avait mené, concernant les commentaires formulés au sujet des victimes lors des consultations, revêtent une importance particulière pour le projet de loi C 77, à savoir :
Tous ces intervenants estimaient que dans un système de cours martiales, les victimes devraient avoir des droits équivalant, à tout le moins, à ceux conférés aux victimes dans le système de justice pénale civil au Canada et avoir accès à des ressources semblables à celles qui leur sont offertes.vii
Ces commentaires confirment que les Canadiens souhaitent voir des avancées pour les victimes dans le système de justice militaire et soulignent la nécessité d’adopter le projet de loi C 77.
J’appuie fermement le projet de loi C 77, car il permettra d’étendre au système militaire de nombreux droits des victimes qui existent déjà dans le système de justice pénale et, ce faisant, contribuera à corriger un profond déséquilibre. Il s’appuiera sur les efforts déployés pour appuyer les victimes d’inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes, comme ceux menés dans le cadre de l’opération HONOUR, du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle et de l’Équipe d’intervention sur l’inconduite sexuelle.
Le projet de loi C 77 est un pas dans la bonne direction, car il vise à renforcer les droits des victimes au sein du système de justice militaire. Les droits proposés sont très semblables à ceux énoncés dans la CCDV, et certaines mesures législatives vont encore plus loin.
À cet égard, je suis heureuse de constater qu’il prévoit la nomination d’un agent de liaison de la victime, dont le rôle consisterait notamment à aider la victime :
Nous entendons régulièrement dire – tout récemment dans le cadre de notre consultation nationale de 2017 sur l’examen du système de justice pénale – que les victimes ont besoin d’aide pour se retrouver dans des systèmes qui sont intimidants et trop complexes pour que les gens puissent les comprendre par eux mêmes. La présence d’une personne pour aider les victimes à naviguer dans le système peut grandement améliorer leur capacité de faire des choix éclairés, d’exercer leurs droits et de se rétablir.
Je suis également heureuse de constater qu’en plus des changements apportés à la Déclaration des droits des victimes, le projet de loi comprend également des dispositions visant les infractions d’ordre militaire motivées par des préjugés ou de la haine fondés sur l’identité ou l’expression de genre. Cela permettra d’harmoniser la Loi sur la défense nationale avec les modifications apportées récemment à la Loi canadienne sur les droits de la personne et au Code criminelviii et de reconnaître les effets préjudiciables et les répercussions des crimes haineux sur toutes les victimes.
Bien que j’appuie le projet de loi, je vois également la possibilité de l’améliorer de façon générale pour les victimes et les survivants du système de justice militaire. Vous trouverez à la suite quelques recommandations concernant le projet de loi que j’ai respectueusement présentées aux fins d’examen par le Comité. Ces recommandations pourraient être appliquées dans le projet de loi lui-même dans certains cas, ou lorsque c’est plus indiqué, dans la réglementation qui sera élaborée à l’appui du projet de loi.
1. Inclure un préambule indiquant que les droits des victimes sont importants et précisant la manière dont les victimes devraient s’attendre à être traitées.
La Déclaration des droits confère aux victimes d’infractions d’ordre militaire des droits dont elles pourront se prévaloir dans le cadre du système de justice militaire. Cependant, la Déclaration ne renferme aucun préambule général reconnaissant, par exemple, le fait que les infractions d’ordre militaire causent des torts aux victimes et à l’ensemble de la collectivité militaire, qu’il est important que les droits des victimes soient pris en compte à l’échelle du système de justice militaire, et que les victimes méritent d’être traitées avec courtoisie, compassion, respect et dignité, et devraient s’y attendre. Un tel préambule existe dans la CCDV, ainsi que des renvois à la Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité. La Déclaration, qui a reçu l’aval des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de la justice en 1988 et qui a été modernisée en 2003, aide à orienter l’élaboration de politiques, de programmes et de loi visant les victimes d’un acte criminelix . Elle vise à promouvoir le traitement équitable des victimes et énonce que :
Tout en reconnaissant que ces principes existent dans le cadre du système de justice pénale, un préambule général similaire à celui que renferme la CCDV et reprenant certaines formulations de la Déclaration pourrait être incorporé dans le projet de loi C-77. Cela permettrait de fournir un cadre global à garder à l’esprit afin de s’assurer que les victimes sont traitées avec courtoisie, compassion et dignité. Certains documents de politique militaire le prévoient déjà. Par exemple, une Directive de la direction des poursuites militaires intitulée Répondre aux besoins des victimesx renferme un énoncé de directive selon lequel la « victime doit se voir accorder un rôle significatif dans la procédure de justice militaire de façon à ce qu’elle soit protégée, écoutée, informée, respectée et entendue ». Des formulations similaires pourraient être adoptées dans le projet de loi lui-même de manière à inscrire dans la loi de tels principes parallèlement aux droits des victimes.
2. Renforcer et préciser le rôle de l’agent de liaison de la victime (ALV) et s’assurer que les victimes sont informées de façon proactive de leur droit d’en nommer un.
La proposition de créer l’ALV est un pas positif dans le contexte du système de justice militaire. L’adoption d’une telle mesure aiderait à éviter les critiques trop souvent entendues au sujet de la CCDV, à savoir, qu’elle confère aux victimes des droits à certains types de renseignement particuliers, sans donner de précision sur les pouvoirs ou les responsabilités de la personne chargée de fournir les renseignements aux victimes et sans indiquer à quelle étape du système de justice pénale elle doit le faire
Cela dit, comme pour toute disposition relative aux droits des victimes, les détails seront extrêmement importants. Un élément-clé qu’il convient de noter est que le projet de loi indique que l’ALV sera nommé « sur demande de la victime ». Cela présuppose qu’une victime – une personne qui doit composer avec les répercussions physiques, émotionnelles, psychologiques ou financières d’une infraction d’ordre militaire – serait au courant dès le début qu’elle peut recourir à un ALV. Le rôle de l’ALV serait grandement renforcé si l’on incluait dans le projet de loi l’exigence selon laquelle une personne particulière doit informer de façon proactive les victimes dès le début du rôle de l’ALV et de leur droit de demander qu’on en nomme un. Étant donné que le gouvernement fédéral a compétence sur tous les agents qui interviendront au sein du système de justice militaire, il n’y a au bout du compte rien qui n’empêche le gouvernement d’exiger que certains agents veillent à ce que les victimes soient informées de leur droit de faire nommer un ALV.
En outre, le BOFVAC encouragerait que l’on envisage d’élargir le rôle de l’ALV. Actuellement, tel qu’il est défini dans le projet de loi C-77, le rôle semble plutôt restreint. Par exemple, l’alinéa 71.16(3)a) propose que l’agent soit chargé d’« expliquer » comment les accusations relatives aux infractions d’ordre militaire sont portées et comment elles sont poursuivies, et l’alinéa 71.16(3) b) établit que leur rôle est d’« obtenir et de transmettre à la victime les renseignements relatifs à l’infraction d’ordre militaire ». Même s’il est clair que le rôle de l’ALV n’est pas de fournir des conseils juridiques à la victime, cette disposition pourrait être améliorée, à tout le moins, en énonçant expressément que l’ALV est également tenu d’expliquer à la victime les droits qui lui sont conférés dans le cadre du système de justice militaire, notamment le droit de se prévaloir du mécanisme de règlement des plaintes et comment procéder. Cette disposition pourrait également être améliorée en énonçant expressément que l’ALV est aussi chargé de fournir des renseignements à la victime de manière à répondre à ses autres droits généraux en matière de renseignement, comme le prévoit la loi, y compris le droit à l’information, sur demande, au sujet du rôle qu’elle est appelée à jouer dans le système de justice militaire et des services auxquels elle a accès.
De plus, cette disposition pourrait apporter des précisions quant à savoir si l’ALV serait responsable d’informer les autres agents du système des préoccupations que les victimes leur ont fait part en ce qui concerne leur sécurité, lesquelles pourraient faire surface dans leurs interactions avec les victimes.
Le projet de loi C-77 précise que les conditions concernant la nomination des agents de liaison seront fixées par règlement. Le BOFVAC est d’avis que les règlements qui seront promulgués relativement à cette question devraient examiner toutes les façons de s’assurer que les agents de liaison sont en mesure de fournir l’aide la plus utile possible aux victimes. La réglementation pourrait répondre à cette question en s’assurant que les victimes sont informées de leur droit de faire nommer un agent de liaison, que les agents reçoivent une formation adéquate – non seulement qu’ils connaissent bien les droits des victimes dans le cadre du système, mais qu’ils aient reçu les formations axées sur les traumatismes et sur les victimes – et que les attentes à l’égard de ce rôle sont bien comprises par tous les agents au sein du système de justice militaire.
3. Clarifier les rôles et les responsabilités en matière d’application des droits des victimes tout au long du continuum de la justice militaire afin de s’assurer que les droits des victimes peuvent être exercés et appliqués de façon coordonnée, simple, transparente et en temps opportun.
Bien que le projet de loi C-77 confère des droits statutaires aux victimes, la « Déclaration des droits des victimes » n’attribue pas de responsabilités ou de rôles précis dans de nombreux cas. Par conséquent, on ne sait pas exactement qui sera responsable de fournir un soutien en ce qui concerne des droits particuliers, et à quel moment ce soutien doit être fourni. Cette ambiguïté relative aux rôles et aux responsabilités peut faire en sorte que les victimes ne connaissent pas leurs droits, et peut semer la confusion ou entraîner un chevauchement des services offerts.
Dans son rapport annuel 2017-2018, le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle des Forces armées canadiennes a déterminé que le manque de coordination et de sensibilisation entre les entités offrant des services aux victimes posait problème.xi Le Centre a fait remarquer que le chevauchement des rôles et des responsabilités des prestataires de services aux victimes était incompatible avec la vision de « services harmonieux, accessibles et efficaces pour les militaires touchés, en raison du risque de confusion des rôles et de chevauchements des services ».xii
Afin de permettre aux victimes d’exercer les droits auxquels elles auront droit, il faudra d’abord s’assurer que les responsabilités particulières dans l’ensemble du système de justice militaire soient clairement établies. Dans le cas de la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV), on a souvent suggéré de fournir une directive qui les énoncera clairement.
4. Exiger la mise en œuvre d’une stratégie de formation, qui sera établie et élaborée dans des règlements, à l’intention du personnel qui participe à l’administration du système de justice militaire (comme le personnel de la police militaire, les procureurs, les avocats, les juges, et autres) qui est susceptible d’être en contact avec les victimes.
On soulève régulièrement une lacune importante en ce qui concerne la CCDV, à savoir qu’elle ne prévoit pas explicitement de stratégie de formation pour faire en sorte que le personnel du système de justice pénale susceptible d’être en contact avec les victimes – par exemple le personnel de la police, de la Couronne, des services correctionnels et judiciaires, ainsi que celui des services d’aide aux victimes – connaisse ses obligations en vertu de la CCDV et reçoive une formation générale et spécialisée relative aux victimes, notamment une formation sur la violence et les traumatismes.
En ce qui concerne la CCDV, il y a des questions de compétence complexes dans le contexte de l’administration du système de justice pénale au Canada. C’est parce que le gouvernement fédéral exerce une compétence exclusive en matière de droit pénal, tandis que les provinces sont responsables de l’administration de la justice dans les provinces et réglementent, par exemple, les tribunaux provinciaux, les services correctionnels et les services de police. Conformément à la CCDV, le gouvernement fédéral ne pourrait pas prendre des décisions qui relèvent de la compétence provinciale. Le gouvernement fédéral a plutôt appuyé la formation liée à la CCDV dans d’autres juridictions en finançant, par exemple dans le cadre du Fonds d’aide aux victimes, des projets et des activités qui favorisent l’acquisition de connaissances et appuient l’application des droits énoncés dans la CCDV. En outre, dans le cadre du Fonds d’aide aux victimes, des fonds ont été mis à la disposition d’organisations ou d’associations professionnelles du domaine de la justice pénale pour appuyer l’élaboration et la mise en œuvre d’une formation à l’intention de leurs intervenants professionnels du système de justice pénale.
De plus, la formation sur la CCDV pourrait être abordée de façon plus proactive dans le projet de loi C-77. Le personnel militaire relève de la compétence du gouvernement fédéral et est donc assujetti à la réglementation fédérale. Par conséquent, la même problématique que celle de la formation régulière du personnel sur les droits des victimes dans le système de justice militaire, et sur leurs rôles et responsabilités à leur égard, ne devrait pas se poser. On pourrait même faire valoir que l’administration fédérale de la justice militaire pourrait devenir un modèle pour veiller à ce que les professionnels qui entrent en contact avec les victimes reçoivent une formation sur les droits des victimes.
Pour ce faire, on pourrait par exemple prévoir dans la Déclaration des droits des victimes une exigence de formation obligatoire pour le personnel de la justice militaire. Parallèlement, il faudrait élaborer une stratégie de formation pour accompagner la Déclaration, afin de s’assurer que le personnel du système de justice militaire soit au fait de ses obligations et reçoive une formation générale et spécialisée concernant les victimes. Cette formation devrait être élaborée et dispensée en collaboration avec des organismes communautaires et adopter une approche intersectionnelle pour tenir compte des besoins des groupes marginalisés et vulnérables.
5. Désigner des responsables spécifiques chargés d’accepter et d’examiner les plaintes des victimes, et exiger qu’un résumé annuel des plaintes soit fourni.
Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels (BOFVAC) fait remarquer que le projet de loi C 77 propose que les victimes aient le droit de déposer une plainte pour violation ou négation de leurs droits et que le mécanisme de plainte prévoie :
Même si le BOFVAC se réjouit du fait que les victimes disposeront d’un processus officiel leur permettant de déposer une plainte (conformément aux mécanismes de plainte que les organismes fédéraux doivent avoir en vertu de la CCDV), le Bureau a pris connaissance directement des défis auxquels les victimes d’actes criminels font face lorsqu’elles tentent de naviguer dans le mécanisme de révision des plaintes établi dans le système de justice pénale civil à la suite de la création de la CCDV. Plus précisément, les victimes ont indiqué qu’elles avaient dû répéter leurs expériences de victimisation à plus d’un bureau ou déposer plusieurs plaintes. De telles expériences peuvent être éprouvantes et traumatisantes pour les victimes et, parallèlement, le fait de devoir les répéter entraîne un gaspillage des ressources gouvernementales.
Pour faire en sorte que le processus de traitement des plaintes soit aussi coordonné et transparent que possible, que les victimes aient des points de contact clairs et que toute difficulté liée au système soit relevée aussi rapidement que possible afin de pouvoir être réglée, je recommande que l’on précise dès le départ le mécanisme des plaintes et que l’on exige un rapport annuel.
6. Mettre en place un mécanisme d’appel et désigner un organisme de surveillance doté de pouvoirs législatifs lui permettant d’examiner les appels relatifs aux violations ou aux négations des droits des victimes afin de garantir une surveillance et une application efficaces des droits des victimes. De plus, l’organisme de surveillance devrait avoir le pouvoir d’obliger les organismes du système de justice militaire à produire de l’information pertinente dans le cadre d’une plainte en appel ainsi que de recommander des mesures de redressement pour les plaintes en appel.
Le BOFVAC a signalé que le projet de loi C 77 ne prévoit pas de mécanisme d’appel à l’égard de toute décision ou ordonnance qui se fonde sur la violation ou la négation d’un droit en vertu de la section 1.1. Les droits des victimes doivent être exécutoires pour que le système de justice militaire soit tenu responsable des droits qu’il aura pour mandat de garantir en vertu de la Déclaration des droits des victimes.
7. Prévoir l’obligation, dans les cas où un délinquant militaire est transféré dans le système civil, qu’un fonctionnaire désigné (agent de liaison avec les victimes ou autre, selon le cas) soit tenu d’offrir aux victimes la possibilité d’être rattachées, avec leur consentement, à une personne-ressource dans le système de justice pénale civil.
Le projet de loi C-77 modifie la CCDV pour refléter le fait que les droits des victimes conférés par la CCDV s’appliqueront aux délinquants transférés dans le système civil.
Au fil des ans, les victimes ont exprimé leurs préoccupations au BOFVAC concernant le transfert sans assistance des services aux victimes d’un système à un autre, par exemple du système de justice fédéral à un système provincial ou territorial. Étant donné qu’il incombe à la victime de chercher des services et de s’inscrire à nouveau auprès de la province ou du territoire, il semble y avoir une lacune au chapitre de la fourniture des renseignements et du soutien. Même lorsque les victimes sont au fait de la nécessité de s’inscrire à nouveau auprès d’un ordre de gouvernement différent, la tâche peut être énorme, et celles-ci peuvent ne pas être en mesure de s’occuper du processus de demande en temps utile afin d’être dûment avisées des faits nouveaux importants. Les victimes ont indiqué avoir le sentiment qu’il faudrait mettre en place une approche plus proactive pour ce qui est de gérer le transfert des services aux victimes et de les tenir informées.
La plupart des personnes connaissent peu le système de justice militaire ou civil et le rôle de la victime au sein de ceux-ci, jusqu’à ce qu’elles deviennent elles-mêmes victimes. Les victimes qui naviguent au sein du système de justice militaire établiront probablement une relation privilégiée avec leur agent de liaison avec les victimes. Si le délinquant qui leur a causé du tort est ensuite transféré dans le système de justice civil, les victimes doivent apprendre à naviguer dans un nouveau système, rétablir des relations et trouver de nouvelles personnesressources. Cette transition peut occasionner des niveaux de stress et d’anxiété élevés, lesquels peuvent s’aggraver lorsque les victimes sentent qu’on se soucie peu d’elles ou que leurs besoins ne sont pas pris suffisamment en considération au cours de la transition. À l’instar de tous les systèmes de service, il est frustrant pour les victimes, même lorsqu’elles trouvent le bon fournisseur, de raconter à nouveau leur histoire et leurs préoccupations, et d’analyser encore une fois les options accessibles afin de pouvoir rétablir les protections et les services nécessaires, et elles peuvent se sentir négligées.
Pour toutes ces raisons, il convient de veiller à ce qu’un mécanisme soit mis en place pour faciliter la transition du système militaire au système civil.
8. Prévoir un examen des progrès réalisés à l’égard de la mise en application du projet de loi.
La CCDV prévoit que cinq ans après son entrée en vigueur, un comité du Parlement sera désigné ou mis en place pour effectuer un examen de la CCDV. Le projet de loi C-77 ne prévoit pas la tenue d’un examen parlementaire de la loi après son entrée en vigueur, et ne définit pas les rôles et les responsabilités en matière de rapports et d’évaluation de la conformité. Un cadre de surveillance, de rapports et d’évaluations continus permettrait ainsi aux parlementaires de mieux évaluer la portée et l’incidence du projet de loi ainsi que de déterminer de quelle façon il pourrait être renforcé pour mieux répondre aux besoins des victimes d’actes criminels.
Il est proposé que ce cadre fasse partie intégrante du nouveau système de gestion de cas qui sera mis en œuvre par le Juge-avocat général en réponse au rapport du vérificateur général sur l’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, lequel a été publié peu après le dépôt du projet de loi C77. L’objectif est de permettre le suivi des cas en temps réel et d’introduire un nouvel outil d’évaluation du rendement pour aider à évaluer le bon fonctionnement du système de justice militaire. L’évaluation des progrès réalisés par rapport à la mise en œuvre des droits des victimes en vertu du projet de loi C-77 devrait s’inscrire pleinement dans ces changements généraux.
Voici quelques points dont le BOFVAC aimerait que l’on tienne dûment compte dans l’avenir de façon à renforcer l’impact des droits des victimes au sein du système de justice militaire et aider à faire en sorte que les victimes bénéficient du soutien dont elles ont besoin.
a. Promouvoir la sensibilisation aux droits des victimes dans tout le système de justice militaire et créer une approche axée sur les victimes qui imprègne l’ensemble de la culture, des politiques et des pratiques.
Un aspect tout aussi important que le fait d’intégrer dans la loi les droits des victimes est celui de répondre aux besoins et aux préoccupations de ces dernières dans le cadre de la culture, des politiques et des pratiques, et ce, en imprégnant l’ensemble du système de justice militaire d’une approche axée sur les victimes. Cette approche comporterait les éléments suivants :
Une approche axée sur la victime procure aux victimes et à leurs proches des avantages importants. Elle leur permet de se sentir écoutées et de jouer un rôle véritablement actif, et elle favorise leur ressourcement et leur résilience. Elle atténue en outre le risque de préjudices, la revictimisation et le stress post-traumatique. Dans l’ensemble, elle permet aux victimes de se sentir davantage rassurées et en sécurité, et il y a plus de chances qu’elles soient satisfaites du processus.
b. Fournir aux victimes un accès à des conseils juridiques gratuits lors du signalement de l’infraction d’ordre militaire, ainsi qu’au cours de l’enquête et de la poursuite connexes.
Le BOFVAC croit que les victimes devraient avoir accès à des services de représentation juridique gratuits en vue d’être parfaitement informées des droits à la participation que garantit le projet de loi et, si elles le souhaitent, de pouvoir s’adresser au tribunal en vue d’exercer ou de faire respecter ces droits.
Dans son ébauche de rapport interne sur la révision globale de la cour martiale, le Cabinet du JAG a signalé que certains de ceux qui ont contribué à ses consultations « ont émis le souhait que dans le système des cours martiales les victimes bénéficient de ressources qui ne sont généralement pas offertes dans les systèmes civils - par exemple, une représentation légale gratuite dans certaines circonstances »xiii Il s’agit là d’un point de vue qui a récemment été formulé aussi dans un article paru dans le Globe and Mail et dont l’auteur, Lindsay Rodman, ancien militaire américain et titulaire d’une bourse de perfectionnement auprès du Canadian Global Affairs Institute, a fait remarquer ce qui suit :
[TRADUCTION] « Le simple fait de reproduire ce que l’on offre aux civils ne s’est pas révélé utile aux États-Unis – ce n’est que lorsque nous sommes allés bien au delà des mesures dont bénéficiaient les civils dans des situations comparables que nous avons commencé à constater des progrès. Aux États-Unis, la formule des agents de liaison avec les victimes ne fonctionnait pas; nous avons dû affecter aux victimes leur propre avocat ».xiv
Aux États-Unis, le Department of Defense (ministère de la Défense) a créé pour les victimes d’agression sexuelle une fonction de soutien juridique qui leur procure des avis et des conseils juridiques et qui préserve leur confidentialité. Une victime peut avoir accès à ces mesures de soutien selon qu’elle dépose un rapport à diffusion restreinte (c. à d., une option offerte aux victimes d’agression sexuelle d’âge adulte qui souhaitent signaler l’acte criminel de manière confidentielle à des personnes expressément identifiées, comme du personnel de soutien en cas d’agression sexuelle ou un fournisseur de soins de santé, sans déclencher une enquête officielle ou un avis au commandement) ou un rapport à diffusion non restreinte (c. à d., une option offerte aux victimes d’agression sexuelle qui veulent qu’on lance une enquête officielle et que le commandement soit avisé de la situation). Toujours aux États-Unis, l’Armée, l’Aviation, la Garde nationale et la Garde côtière qualifient ces spécialistes de « Special Victims’ Counsel (SVC) » (conseillers spéciaux des victimes) tandis que la Marine et le Corps des Marines les appellent des « Victims’ Legal Counsel (VLC) » (conseillers juridiques des victimes).
c. Mettre en œuvre un mécanisme permettant de faciliter le recouvrement des montants de dédommagement impayés qui sont dus aux victimes d’une infraction d’ordre militaire.
Le projet de loi confère aux victimes le droit à ce que les tribunaux envisagent de rendre dans tous les cas une ordonnance de dédommagement à l’encontre du contrevenant. Elle confère aussi le droit de faire enregistrer l’ordonnance auprès d’un tribunal civil à titre de jugement exécutoire contre le contrevenant en cas de défaut de paiement. Il incombe toutefois aux victimes qui ne reçoivent pas l’intégralité de leur dédommagement d’intenter une poursuite civile, une mesure dont le coût peut être prohibitif, en plus de les obliger à consacrer plus de temps à se battre pour obtenir les fonds qu’un juge a ordonné qu’on leur verse. Cela signifie aussi que les victimes continuent de supporter le coût des actes criminels qui ont été commis contre elles. Pour les victimes d’actes criminels ayant déjà vécu une perte et un traumatisme, le fardeau juridique et financier supplémentaire que représente le fait de devoir recouvrer l’argent qui leur est dû par suite d’un acte criminel commis à leur endroit peut tout simplement être excessif et constituer une nouvelle source de victimisation. Les victimes ne devraient pas avoir à supporter un tel fardeau.
Le dédommagement fait partie de la peine infligée au contrevenant, et il faudrait mettre au point un programme à l’appui du projet de loi qui prévoirait un mécanisme de recouvrement atténuant la responsabilité qu’a la victime de faire des démarches pour obtenir les montants de dédommagement impayés. Le BOFVAC exhorte le gouvernement à étudier diverses options, telles qu’un programme par l’entremise duquel les Forces armées canadiennes paieraient directement la victime et se chargeraient de recouvrer les montants auprès du contrevenant, ou un programme de recouvrement par l’entremise duquel les Forces armées canadiennes aideraient les victimes à recouvrer les paiements ordonnés par un tribunal en cas de défaut de paiement du contrevenant.
Je suis en faveur de ce projet de loi, qui intègrerait une approche davantage axée sur la victime en mettant en place des droits, des processus et des procédures axés sur la victime et qui, ce faisant, aiderait à combler des lacunes sérieuses et de longue date dans la manière dont le Canada répond aux besoins des victimes et leur assure un soutien. Le projet de loi présente des mesures de réforme et des occasions grandement nécessaires pour ce qui est d’améliorer l’expérience globale des victimes au sein du système de justice militaire. Il permet aux victimes de se faire davantage entendre, il veille à ce que les victimes soient protégées et soutenues et il est susceptible de rehausser l’équité et la transparence du système aux yeux des victimes. J’inciterais le Comité à prendre en considération mes recommandations, qu’il serait possible d’appliquer grâce à des inclusions pratiques, lesquelles pourraient comporter, par exemple, des activités de formation et de déclaration obligatoires qui, si elles ne tombaient pas sous le coup du projet de loi, pourraient donner lieu au maintien d’une lacune importante.
Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels aide à répondre aux besoins des victimes, défend leurs intérêts et formule des recommandations à l’intention du gouvernement fédéral sur des questions qui touchent les victimes. Pour plus de renseignements, consultez : https://www.victimesdabord.gc.ca/
RECOMMANDATIONS :
CONSIDÉRATIONS
i Loi sur la Charte des droits des victimes (L.C. 2015, ch. 13).
ii Charte canadienne des droits des victimes (L.C. 2015, ch. 13, art. 2)).
iii Les infractions d’ordre militaire « peuvent faire diverses victimes, y compris les militaires et leurs familles et les membres de la communauté civile en général »; Défense nationale, le 10 mai 2018, Document d'information : Renforcer les droits des victimes dans le système de justice militaire.
iv Suivant le paragraphe 18(3) de la CCDV, « [l]a présente loi ne s’applique pas aux infractions qui sont des infractions d’ordre militaire, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la défense nationale, qui font l’objet d’une enquête ou auxquelles il est donné suite sous le régime de cette loi. »
v Il s’agit, par exemple, des dispositions qui sont entrées en vigueur le 1er septembre 2018, à la suite de l’adoption de certaines dispositions de l’ancien projet de loi C‑15, Loi visant à renforcer la justice militaire pour la défense du Canada, conférant aux victimes le droit de présenter devant la cour martiale une déclaration sur les dommages et les pertes causés, que la cour doit prendre en considération au moment de la détermination de la peine, et habilitant la cour martiale à prononcer des ordonnances de dédommagement en cas de perte ou de destruction de biens, ou en cas de blessures corporelles ou de dommages psychologiques; Défense nationale, le 10 mai 2018, Document d'information – Entrée en vigueur le 1er septembre 2018 de dispositions de la Loi visant à renforcer la justice militaire pour la défense du Canada; Gouvernement du Canada, le 2 mai 2018, Gazette du Canada, partie II, volume 152, no 9 : Décret fixant au 1er septembre 2018 la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions de la loi : TR/2018-36.
vi Projet de loi C 71, Loi sur les droits des victimes au sein du système de justice militaire, 2e session, 41e législature, 2015 (mort au Feuilleton).
vii Juge-avocat général, Ébauche - Rapport interne– Révision globale de la Cour martiale (daté du 21 juillet 2017; publié le 17 janvier 2018), chapitre 4 (section 4.3.1), Consultations publiques – résumé des résultats.
viii En juin 2017, le gouvernement fédéral a adopté le projet de loi C 16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel.
ix Ministère de la Justice Canada, Déclaration canadienne de 2003 des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité.
x Directeur des poursuites militaires (DPM), Directive #007/99, Répondre aux besoins des victimes, mise à jour le 15 décembre 2017.
xi Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, Forces armées canadiennes. Rapport annuel 2017-2018.
xii Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, Forces armées canadiennes. Rapport annuel 2017-2018.
xiii Juge-avocat général, Ébauche - Rapport interne - Révision globale de la Cour martiale (document daté du 21 juillet 2017 et rendu public le 17 janvier 2018), chapitre 4 (section 4.3.1) Consultations publiques – Résumé des résultats.
xiv Rodman, Lindsay, « Does Canada’s bill to protect military victims go far enough », article paru dans le Globe and Mail le 24 mai 2018.