Lettre adressée au ministre David Lametti au sujet des Unités de liaison pour l’information à l’intention des familles (ULIF)
Le 5 décembre 2019
L’honorable David Lametti
Ministre de la Justice et Procureur général du Canada
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A OA6
Objet : Unités de liaison pour l’information à l’intention des familles
Monsieur le Ministre,
Une partie importante de mon mandat à titre d’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels consiste à recommander des mesures que peut prendre le gouvernement fédéral pour rendre ses lois, ses politiques et ses programmes plus adaptés aux besoins des victimes.
Je vous écris au sujet d’un programme financé par le Fonds d’aide aux victimes du ministère de la Justice du Canada : Unités de liaison pour l’information à l’intention des familles (ULIF). Je comprends que le financement supplémentaire pour ce service ne sera disponible que jusqu’au 31 mars 2020. À cet égard, je recommande que le ministère de la Justice du Canada finance ces unités de manière permanente, car elles aident les familles autochtones à obtenir les renseignements disponibles sur leurs proches disparus et assassinés auprès de multiples sources gouvernementales. J’estime que les unités constituent une pratique exemplaire, puisqu’elles sont offertes dans chaque province et territoire et s’appuient sur les cadres existants de services aux victimes de chaque région.
Les ULIF répondent à un besoin essentiel de soutien des victimes avec une approche adaptée à la culture. Au Canada, le taux d’agressions sexuelles autodéclarées des Autochtones est presque trois fois supérieur à celui des non-Autochtones, selon l’Enquête sociale générale (ESG) sur la victimisation de 2014. D’ailleurs, le taux d’agressions sexuelles signalées par les femmes autochtones était plus de trois fois supérieur à celui des femmes non autochtones. Malheureusement, la violence faite aux femmes et aux filles autochtones est non seulement plus fréquente, mais également plus brutale. Entre 1997 et 2000, les taux d’homicides chez les femmes autochtones étaient six fois plus élevés que chez les femmes non autochtones. Il est déplorable de constater que, depuis 2000, les chiffres n’ont cessé d’augmenter.
J’appuie la mesure de financement permanent des ULIF parce qu’elles fournissent une infrastructure essentielle à la collecte et à l’échange de renseignements à jour, y compris sur les enquêtes de police, les rapports et les enquêtes du coroner et les procédures judiciaires. Ce service répond aux divers besoins de renseignements sollicités par les membres de la famille d’une manière coordonnée et compatissante, et selon une approche qui protège la culture et qui tient compte des traumatismes subis. Ces unités servent aussi à informer les familles sur les réseaux et les programmes existants pour les aider et les soutenir dans leur recherche de guérison et de bien-être. Cela comprend l’orientation vers des services d’aide aux victimes et de soutien culturel et des services de counseling pour les personnes en deuil ou ayant vécu des expériences traumatisantes. Les ULIF ont le mandat d’informer toutes les familles de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées par rapport au système de justice pénale, aux procédures policières, aux services à l’enfance et à la famille, et aux services de santé et sociaux.
Les ULIF offrent un « service d’information à guichet unique » pour toutes les familles de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées. Depuis que l’Enquête nationale a été menée, les unités ont également fourni un soutien à long terme aux familles à la recherche de renseignements et d’aide. En effet, les unités peuvent aborder les questions en suspens que les familles se posent sur la perte de leurs proches disparues.
Au cours de mes voyages partout au Canada, j’ai reçu la rétroaction de nombreux membres du personnel des ULIF, ainsi que de survivants autochtones. Ils sont unanimes : cette ressource est importante, parce qu’elle aide les familles à s’orienter dans le système judiciaire complexe et à obtenir de précieux renseignements et des traitements. Par exemple, dans les Territoires du Nord-Ouest, j’ai appris que les ULIF ont une incidence majeure sur les collectivités. Ces dernières ont pu mettre la main sur des dossiers, pour certaines familles, qui autrement n’étaient pas accessibles auparavant. Par ailleurs, certaines familles ont demandé au travailleur de l’ULIF de les accompagner et de les soutenir au moment de leur témoignage à l’Enquête nationale. Voilà un excellent exemple du lien et de la relation que les membres du personnel ont tissés avec les familles.
Finalement, j’estime que le gouvernement fédéral a des obligations envers les Autochtones de tout le pays, notamment pour garantir que les victimes et les survivants de cette violence disposent de ressources appropriées sur le plan culturel, afin d’aider à la guérison associée à leur perte et à leur victimisation. Il est primordial de reconnaître que les droits des victimes autochtones sont bel et bien des droits de la personne. Le financement permanent des ULIF permettra d’assurer que les familles autochtones maintiennent un accès à la justice à la suite de leur victimisation violente.
Si vous avez besoin de tout autre renseignement supplémentaire pour tenir compte de ma recommandation, n’hésitez pas à communiquer avec moi. J’attends avec impatience votre réponse et je me réjouis de continuer à travailler avec vous pour apporter des changements favorables, au Canada, aux victimes et aux survivants d’actes criminels.
Je vous prie d’agréer, monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments distingués.
Heidi Illingworth
Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels
Par courriel
Le 11 mai 2020
Madame,
J’ai bien reçu votre correspondance du 5 décembre 2019 dans laquelle vous me faisiez part de vos recommandations à l’égard d’un vaste éventail de questions touchant les victimes. Je vous prie de m’excuser d’avoir tardé à vous répondre.
J’aimerais tout d’abord vous remercier de vos félicitations. C’est un véritable honneur pour moi de continuer d’occuper ce poste important. Aussi longtemps que j’exercerai ces fonctions, je demeurerai engagé à promouvoir une vision progressive du Canada, fondée sur la primauté du droit, tout en veillant à ce que notre système de justice soit juste et accessible à tous.
Dans votre correspondance, vous soulevez des questions concernant le rapport de 2019 intitulé « L’état du Système de justice pénale » et l’importance des données sur les victimes dans le système de justice pénale. Je prends note de vos suggestions de domaines dans lesquels des indicateurs supplémentaires sur les victimes pourraient être recueillis pour permettre un examen plus approfondi du système de justice pénale. Notre gouvernement reconnaît la valeur des données du système, y compris des données propres aux victimes d’actes criminels. Par conséquent, le ministère de la Justice du Canada a octroyé des fonds au Centre canadien de la statistique juridique (CCSJ) de Statistique Canada pour qu’il crée l’enquête pilote « Indicateurs canadiens des services aux victimes » afin d’étudier la possibilité de recueillir des indicateurs clés sur les victimes à partir des données provinciales et territoriales existantes. Par suite de ce projet, le CCSJ a créé des tableaux de données affichant le nombre de victimes de violence déclaré par la police dans chaque province et territoire. Ces tableaux seront publiés en ligne chaque année.
Comme vous l’avez souligné, la majorité des services aux victimes sont fournis par les provinces et territoires dans le cadre de leur responsabilité en matière d’administration de la justice. Il est donc difficile d’établir des mesures de services aux victimes comparables à l’échelle nationale. Les fonctionnaires du ministère de la Justice du Canada continueront à travailler avec leurs homologues provinciaux et territoriaux et le CCSJ pour explorer de nouvelles possibilités de collecte de données spécifiques aux victimes d’actes criminels.
Vous recommandez également d’inclure dans le Rapport des renseignements sur le respect, par les professionnels du système de justice pénale, de la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV). Tous les ministères et organismes fédéraux dont le travail est lié aux droits des victimes au titre de la CCDV ont mis en place un mécanisme de traitement des plaintes liées à la CCDV et publient un rapport annuel sur les plaintes reçues. Je suis heureux de vous informer que le rapport 20182019 sur le Mécanisme de traitement des plaintes liées à la CCDV du ministère de la Justice est accessible à l’adresse suivante : https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/mtpccdv-cvbrcm/19/index.html. J’ai fait part aux fonctionnaires du Ministère de votre suggestion d’inclure les données de la CCDV dans les rapports à l’avenir.
J’ai pris note de vos commentaires au sujet du Fonds d’aide aux Canadiens victimes d’actes criminels à l’étranger. Comme vous le savez, j’ai récemment reçu une demande semblable du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes (CCRVC). Je vous remercie de prendre le temps de vous joindre à cette discussion.
Le ministère de la Justice du Canada effectue l’examen périodique des critères d’aide financière du Fonds d’aide aux Canadiens victimes d’actes criminels à l’étranger, y compris les montants maximums pouvant être accordés au titre des volets santé et voyage du programme. Votre recommandation contribuera à éclairer les prochains examens.
Enfin, j’aimerais répondre à votre recommandation selon laquelle le Ministère devrait financer en permanence les Unités de liaison pour l’information à l’intention des familles (ULIF).
Comme vous le savez, les ULIF aident les familles autochtones à obtenir, auprès de diverses sources gouvernementales, les renseignements disponibles sur leurs êtres chers disparus ou assassinés. De plus, elles répondent au besoin essentiel d’offrir aux victimes des services de soutien adaptés à leurs réalités culturelles. Je suis heureux de vous annoncer que le gouvernement s’est engagé à prolonger de trois ans le financement des ULIF.
Le 4 décembre 2019, j’ai participé à l’Assemblée extraordinaire des chefs de l’Assemblée des Premières Nations, où j’ai enfin pu prendre cet engagement devant les participants. Comme je leur ai dit, selon les commentaires obtenus, les ULIF ont été une ressource extrêmement importante pendant l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, pour aiguiller les familles et les proches vers les sources susceptibles d’avoir des réponses à leurs questions. Je sais que le besoin d’obtenir des réponses et du soutien est toujours présent et je veux m’assurer que ces services importants continuent d’être offerts à l’avenir. Le fait de répondre aux besoins des victimes et des survivants d’actes criminels est une priorité pour notre gouvernement, et nous reconnaissons l’importance d’avoir accès à des données fiables sur les victimes.
Je vous remercie du temps que vous avez pris pour formuler des recommandations exhaustives concernant le système de justice pénale et les besoins des victimes et de leurs familles. Je profite de l’occasion pour vous féliciter pour l’important travail que vous accomplissez au nom des victimes et des survivants au Canada. Je me réjouis à l’idée de travailler avec vous pour explorer les façons dont le gouvernement fédéral pourrait mieux adapter ses lois, ses politiques et ses processus aux besoins des victimes et des survivants d’actes criminels.
Je vous remercie encore une fois de m’avoir écrit, et je vous prie d’agréer, Madame, mes salutations distinguées.
L’honorable David Lametti, C.P., c.r., député
Ministre de la Justice et procureur général du Canada